Le Temps du 8 novembre 2010 : La Suisse, si détestée, si incomprise
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Comme tant d’autres lecteurs, j’attends d’un journal dit de référence de pouvoir m’y référer… étonnant, n’est-ce pas ? Il est donc nécessaire que les informations transmises par celui-ci soient aussi fiables que possible et respirent la plus grande honnêteté dans la « recherche de la vérité ».
Le Temps a été épinglé dernièrement pour avoir argumenté contre l’initiative fiscale socialiste en commettant une assez grosse bourde. Mais il se trouve que les invités de la page débats du même journal jouent eux aussi avec les chiffres d’une manière assez contestable. Ce lundi 8 novembre, c’est un éditeur, Henri Weissenberg, qui propose une réflexion sous le titre « La Suisse, si détestée, si incomprise » tendant à montrer que notre pays a pour habitude d’être en décalage avec le reste du continent. Une réflexion pas inintéressante en soi.
Mais, le problème, c’est que l’auteur tient à reprendre une « tarte à la crème » de la comparaison statistique pour démontrer que les Suisses ne sont pas xénophobes : »La population étrangère résident en Suisse constitue 22,9 % de la population totale (…).La population étrangère en France est selon l’Insee 5,8 % du total. On voit immédiatement la différence abyssale dans la situation des deux pays, avec une Suisse qui compte, en pourcentage, quatre fois plus d’étrangers« .
Or, cette comparaison, dont chacun devrait depuis longtemps savoir qu’elle n’est pas raison, est tout à fait navrante et l’ignorance en matière d’interprétation statistique de son auteur absolument « abyssale » elle aussi. Si le mot peut faire illusion à un esprit peu éclairé, la notion d’étranger en France ne correspond pas à la notion d’étranger en Suisse. Les lois sur la nationalité sont très différentes et la comparaison est plutôt difficile. On rappellera notamment qu’un enfant né en France de parents étrangers pourra devenir français à sa majorité (ce droit du sol n’existe pas en Suisse) et que la naturalisation française d’un adulte peut être demandée après 5 ans de résidence (contre 12 ans en Suisse). Chez nous, deux tiers environ des étrangers seraient probablement détenteurs de la nationalité suisse si on appliquait une loi semblable à la France. Venant d’un intellectuel qui occupe une demi-page dans « Le Temps« , cette comparaison digne des prospectus publicitaires de l’UDC est tout simplement inadmissible.
Les lois étant à tel point différentes, les comparaisons basées sur la catégorie « étranger » sont donc très peu pertinentes (au risque de me répéter… comment peut-on encore l’ignorer ?). Il y a pourtant un critère qui permet d’objectiver un peu la question : dénombrer le pourcentage d’habitants né hors des frontières du pays. Manifestement, Henri Weissenberg connaît ce type de statistique puisqu’il insère la parenthèse « (et non pas immigrée) » après mention de la population étrangère en France. Il est donc tout à fait conscient de la chose mais cela ne le retient pas de proposer une comparaison totalement inadéquate.
Par chance, j’ai découvert aujourd’hui dans l’hebdomadaire « Courrier international » les « pourcentages de personnes nées à l’étranger » pour quelques Etats occidentaux en 2008 :
Canada. – 20,2 %
France. – 8,4 %
Espagne. – 14,1 %
Roy-Uni. – 10,8 %
Etats-Unis. – 13,7 %
Sont indiqués encore les chiffres de l’Allemagne en 2003 (12,9 %) et de l’Italie en 2000 (2,5 %). Je me suis donc avisé de calculer la proportion en Suisse à l’aide des chiffres de l’OFS et j’ai obtenu le ratio de 16,7 %. C’est plus que les autres pays, à part le Canada, mais ce n’est pas quatre fois plus que la France. Il faudrait naturellement intégrer aussi au calcul les Suisses nés à l’étranger (chiffres dont je ne dispose pas), mais cela ne bouleverserait pas de fond en comble la comparaison. Si je compare encore avec l’Allemagne, en prenant les chiffres suisses de 2003, j’obtiens une proportion de 15,3 % d’habitants de la Suisse nés à l’étranger. On est très très loin de l’abysse !
Si le pourcentage d’étrangers en Suisse est si élevé en comparaison internationale, c’est que nous l’avons souhaité ainsi, en plébiscitant des lois particulièrement strictes sur la nationalité. Avec le développement de l’Union européenne (dont provient une grande partie de nos « étrangers« ), nombreux sont également ceux qui ont tout simplement renoncé à entreprendre le parcours d’obstacles de la naturalisation. Nombreux sont donc les gens nés en Suisse, parfaitement intégrés et parlant avec les accents de nos terroirs et qui continuent à être « étrangers« . Mais qu’on s’appuie là-dessus pour montrer qu’il y aurait quatre fois plus d’étrangers en Suisse tient de la farce statistique.
Daniel
P.S. : Weissenberg dans la version papier du quotidien, Weissenbach sur le site internet. Je penche pour la montagne…
Le Matin du 23 mai 2010 : La randonnée est l’activité sportive qui tue le plus
http://www.lematin.ch/actu/suisse/randonnee-activite-sportive-tue-278952
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Décidément, lorsqu’il s’agit d’appréciations statistiques, il ne faut pas compter sur trop d’efforts de la part de certains quotidiens. Surtout s’il s’agit de monter en épingle la criminalité, des dangers ou des accidents… le plus simple est souvent le mieux, quand cela permet de faire réagir le bon peuple.
La dernière en date : « La randonnée est l’activité sportive qui tue le plus« . Et, en effet, le bureau de prévention des accidents (Bpa) donne des chiffres en ce sens dans une de ses dernières publications : 42 randonneurs sont décédés en 2009, ce qui fait plus que les autres sports… littéralement.
Et le Matin de proposer un graphique comparant ces accidents de randonnées à ceux qu’ont occasionnés l’alpinisme (26 tués), l’escalade (4 tués), le ski de randonnées (12 tués) et le ski hors-piste (12 tués). Et c’est sur cette base que le rédacteur s’autorise à déclarer que « c’est carrément le sport qui tue le plus de personnes durant leurs loisirs » et surtout que « la randonnée est devenue l’activité de montagne la plus meurtrière« . L’effet attendu de ce genre de communication : laisser entendre que la randonnée est décidément TRES dangereuse !
Or, comment peut-on sérieusement comparer les morts lors de randonnées avec les morts de l’alpinisme (sur un « score » de 42 à 26 !) ? Il y a tout de même énormément plus de gens qui pratiquent la randonnée que l’alpinisme ! A ce tarif-là, on peut aussi comparer avec les accidents de la route (plus de 350 tués par année) et les victimes classés par le Bpa dans la catégorie « Habitat et loisirs » : 1500 tués… Les possibilités de comparaisons idiotes en termes absolus sont sans limites : saviez-vous que plus de Chinois se tuent à vélo chaque année que de Suisses en se jetant sous un train ?
Et je ne commenterai pas, pour une fois, l’affirmation « la montagne a tué 112 fois en 2009″ (mais que fait l’UDC… ? Il faut expulser cette criminelle récidiviste !)
Bien sûr, c’est le bureau de prévention des accidents lui-même qui indique sur son site que « la plupart des accidents de montagne ne se produisent pas lors d’escalades, mais lors de randonnées« . Mais il ne cherche pas par là à ameuter la population avec un gros titre… Et ne doit-on pas attendre des journalistes qu’ils fassent preuve d’esprit critique face à ce genre de chiffres et qu’ils les contextualisent. C’est désespérant !
Bref, la randonnée tue… restez chez vous ! Ah, zut, non…. « Habitat et loisirs » fait 1500 morts… Ne faites rien !!!
Daniel
Le Matin du 27 novembre 2009 – Dumping salarial : sanctions à durcir
http://www.lematin.ch/actu/economie/dumping-salarial-sanctions-durcir-196320
La question du « dumping salarial » réapparaît à l’occasion de discussions autour de l’accord de libre-circulation avec l’Union européenne. Micheline Calmy-Rey tente un signal auprès des employeurs pour qu’ils pensent à privilégier la main d’oeuvre indigène. Le Matin relate les faits dans un article pour une fois acceptable sur un tel sujet : les enjeux sont correctement posés.
Mais, alors, pourquoi faut-il qu’ils foutent tout par terre avec un graphique du plus mauvais effet ?
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Si on veut manipuler ses destinataires avec un graphique, voilà exactement ce qu’il faudrait faire… Vous voulez faire apparaître une augmentation plus forte qu’elle n’est en réalité ? Faites en sorte de faire disparaître le bas de l’axe vertical, afin que votre courbe commence le plus près possible de l’origine. Ici, cela consiste à présenter la courbe d’évolution du taux de chômage en Suisse en commençant à 2,5 %, à la place du 0 % qui figurerait sur un graphique parfaitement honnête. Ensuite, jouez un peu avec les échelles verticales et horizontales pour que la courbe montre une ascension bien marquée. Et le tour est joué : voici une augmentation tout à fait catastrophique du chômage !
On pourrait aller encore plus loin, en étirant encore un peu plus l’échelle verticale… c’est joli :
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Et voici, pour finir, un graphique rapidement réalisé par mes soins en utilisant les mêmes chiffres mais en laissant Excel définir par défaut les échelles :
L’impression est quand même assez différente, n’est-ce pas ? On pourrait bien sûr discuter longtemps sur l’utilisation des échelles : les mois et les pourcentages de chômeurs étant des éléments suffisamment différents pour qu’il ne soit pas possible mettre tout le monde d’accord sur les mesures…
D’accord, mais on pourrait au moins faire commencer le graphique à zéro…
Maladresse ou manipulation ?
Daniel
24 heures du 18 novembre 2009 : Les écarts entre les Suisses explosent
http://www.24heures.ch/actu/economie/ecarts-suisses-explosent-2009-11-17
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Pages économiques du « 24 heures », 18 novembre 2009. Les statisticiens en prennent pour leur grade : « Les statistiques suisses présentent toujours un même défaut : elles sont toujours en retard d’une guerre« . Puis, plus loin, la rédactrice de l’article de s’étonner que l’enquête sur les revenus qui vient d’être publiée concerne les revenus de … 2008. Pourrait-elle vraiment concerner ceux de 2009, une année qui n’est même pas terminée ?
Si ce journal se plaint du manque d’information, moi c’est d’un manque de formation dont je vais me plaindre. En effet, je préfère qu’une information soit lente, mais fiable et bien présentée. Or, voici justement un article qui confond des notions très différentes et qui passe à côté d’un élément essentiel de cette statistique. C’est bien d’aller vite… mais à quel prix ?
D’entrée, dans le sous-titre en gras de l’article, le lecteur découvre que l’an dernier, « un suisse a gagné 5823 francs bruts par mois en moyenne« . Or, c’est FAUX : il ne s’agit pas ici d’une moyenne, mais d’une médiane, ce qui n’est pas du tout la même chose. Le contenu de l’article continue ensuite à entretenir cette confusion : dans le deuxième paragraphe, on précise « cela signifie en réalité que la moitié des Suisses a touché davantage et l’autre moitié moins » (et c’est ici une définition de la médiane) et on évoque justement « cette rémunération médiane » un peu plus loin. Mais plouf, rebelote au 3ème paragraphe : « ainsi, il s’avère que le salaire moyen d’une Helvète s’élève à 5040 francs, tandis que celui du mâle la dépasse de plus de 1000 francs par mois, à 6248 francs« . Puis arrive la conclusion « qu’il n’en demeure pas moins que les statistiques ne reflètent pas l’entière réalité« . C’est vrai, mais quand elles sont très mal communiquées, cela ne fait qu’empirer les choses !
Alors, c’est quoi, la différence entre médiane et moyenne ? (c’est juste la question fondamentale que devrait se poser un journaliste avant d’écrire ces mots !)
La médiane des salaires (je reprends ici la formulation de l’Office fédéral de la statistique – OFS) « correspond à la valeur par rapport à laquelle 50 % des salaires sont supérieurs et 50 % inférieurs« . Donc, en résumé, c’est le niveau de salaire de la 50e ou de la 51e personne sur un groupe de 100. C’est en quelque sorte le salaire du milieu !
La moyenne des salaires, c’est le total des salaires divisé par le nombre de salariés (moyenne arithmétique). C’est donc comme le calcul des moyennes à l’école. Si vous écopez des notes 2 – 3 – 3 – 6 – 6, vous aboutissez à un total de 20 que vous divisez par les 5 notes, ce qui vous donne une moyenne de 4. Les deux 6 ont tiré la moyenne vers le haut malgré une majorité de notes plus mauvaises. La note médiane serait elle de 3.
Il en va de même avec les salaires : la moyenne est sensiblement supérieure à la médiane, généralement au dessus des 7000 francs en Suisse (je viens notamment de retrouver un « revenu disponible moyen » - donc bien inférieur au salaire brut moyen - de 6’275 francs en 2007, selon l’OFS). La moyenne est mécaniquement tirée vers le haut par de très hauts salaires. En ce sens, l’OFS a raison de communiquer avant tout sur la médiane qui a plus de sens pour la majorité des gens… à condition que les journalistes identifient bien qu’il s’agit d’une médiane !
Dans « l’enquête suisse sur la structure des salaires 2008« , c’est bien de médiane qu’il s’agit, mais cela n’apparaît vraiment pas clairement dans l’article de « 24 heures ». Et ce n’est malheureusement pas tout : l’Office fédéral de la statistique procède à la « standardisation » des salaires mensuels bruts dans cette enquête. Cela signifie que tous les salaires sont redressés en calculant le montant qu’ils représenteraient si les salariés concernés travaillaient tous à 100 % ! Le montant de 5823 francs, c’est donc le salaire médian que recevrait le Suisse du milieu si tous les suisses travaillaient à plein-temps, ce qui n’est de loin pas le cas… et le vrai salaire médian est donc sensiblement inférieur à ce montant. Voilà une information qui manque cruellement dans l’article de 24 heures. Et le lecteur est induit en erreur sur le niveau réel des salaires. Le calcul de l’OFS a une certaines logique, mais il faudrait au moins en parler !
Entre la confusion entre médiane et moyenne et l’absence d’une précision essentielle concernant la standardisation des salaires, l’information transmise par 24 heures n’est plus du tout transmise correctement pour l’honnête citoyen qui n’en peut mais. S’il souhaite s’informer plus sérieusement sur cette question, un retour au communiqué de presse de l’OFS s’impose, en lisant soigneusement l’encadré technique.
Mais qui le fait ?
Daniel
PS : Et à propos du goût immodéré de la presse pour les chiffres frelatés, je vous encourage à un petit tour vers les calculs du professeur Kalvin : tenez vous bien, la Suisse compte 11,43 abeilles, par un quart de moitié de plus !
Dépêche de l’ATS dans « Le Temps » du 24 octobre 2009 : La Suisse No1 pour l’espérance de vie et le nombre des étrangers
http://www.letemps.ch/ (mais le texte ne se trouve pas sur leur site… mais une autre version, plus complète (!), est lisible chez « 20 minutes » : http://www.20min.ch/ro/news/suisse/story/15636463)
Dans les pages « Régions« , on repère un petit encart d’une vingtaine de lignes titré « La Suisse No1 pour l’espérance de vie et le nombre d’étrangers« . Ce « titre incitatif » fonctionne bien et attire mon attention, parce que je sais que la Suisse n’est en fait le No1 dans aucun des deux cas. Voici donc un titre qui induit déjà légèrement en erreur : il s’agit d’une publication de l’Office fédéral de la statistique (OFS) qui comprend une comparaison avec neuf pays proches. No1 sur 10, c’est pas comme No1 dans l’absolu… (On a fait une course : j’ai été 2e et untel avant-dernier… ah, j’oubliais, on n’était que deux à courir… ,-) ).
Premier des deux éléments de comparaison retenus par la dépêche ATS (parmi beaucoup d’autres…), l’espérance de vie. On apprend que les hommes suisses ont la plus longue des 10 pays retenus, mais que les femmes « arrivent deuxième derrière les françaises« . Le rang de No1 chancèle un peu.
Mais c’est le deuxième élément de comparaison qui retient plus particulièrement mon attention dans cette réduction de la dépêche ATS d’origine effectuée par Le Temps. Voici le texte proposé dans le quotidien : « Avec une proportion d’étrangers de 21,1 %, la Suisse pointe en tête. Ailleurs, cette part varie entre 4,2 % (Pays-Bas, Portugal) et 11,6 % (Espagne).« . Or, c’est une forme trop répandue de « mythologie statistique » que nous livre ici un quotidien qui se veut « de référence » !
C’est un exemple parfait de statistique biaisée. La définition de l’étranger en Suisse varie fortement avec celle d’autres pays, ce qui rend la comparaison directe totalement inopérante. En France, la loi sur la nationalité permet d’obtenir sensiblement plus facilement la nationalité, en s’appuyant sur le droit du sol et une procédure de naturalisation purement administrative après 5 ans de résidence. En comparaison, la non-existence de droit du sol en Suisse et la durée générale de 12 ans sont plus exigeantes et il n’est donc absolument pas étonnant que la population étrangère comptée officiellement soit nettement plus élevée en Suisse que chez nos voisins.
Le document de l’OFS précise notamment que « plus d’un cinquième des personnes de nationalité étrangère ayant une autorisation de séjour de 12 mois et plus sont nées en Suisse » et que « parmi celles nées à l’étranger, 40 % sont en Suisse depuis 10 ans au moins« . Cela pourrait faire près des deux tiers de la population officiellement considérée comme étrangère en Suisse, ce qui ramènerait grosso modo le taux de population étrangère de la Suisse dans la fourchette européenne. Il est assez piquant à ce propos de relever que le site du quotidien gratuit 20 minutes, suite à la même phrase que le Temps, précise que « L’OFS relève cependant que de nombreux pays européens ont des pratiques de naturalisation plus libérales que la Suisse. » 20 minutes plus complet que Le Temps, qui l’eût cru ?
Comment effectuer des comparaisons valables étant donné que les divers Etats ont tous des règles différentes pour l’octroi de la nationalité ? Une solution serait de retenir des critères qui ne sont pas influencés par les lois. Par exemple, décompter le nombre de personnes nées à l’étranger par rapport à la population du pays. Il ne s’agit donc pas ici de nier l’importance de la population étrangère ou l’augmentation du nombre des naturalisations. Il est d’ailleurs très probable qu’on constaterait que la population étrangère de Suisse est réellement plus élevée que dans les pays voisins, mais l’écart serait aussi certainement nettement moins grand. Mais la comparaison serait plus honnête !
En tous les cas, ce que j’attends d’un quotidien qui se veut sérieux, c’est de ne pas colporter comme un simple perroquet une comparaison aussi simpliste. Dans le cas présent, une jolie image ou un petit dessin, ou même une publicité, aurait avantageusement remplacé cet encart.
Daniel
Publication complète de l’OFS : http://www.bfs.admin.ch/bfs/portal/fr/index/themen/01/22/publ.Document.125302.pdf
Le Matin du 26 avril 2009 : « 70% d’étrangers dans les prisons: l’UDC réagit » + l’éditorial
http://www.lematin.ch/actu/suisse/70-etrangers-prisons-udc-reagit-114363 / http://www.lematin.ch/actu/suisse/editorial-michel-danthe-redacteur-chef-114367
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Tout lecteur attentif aura déjà remarqué à quel point l’UDC et ses propositions relatives à l’immigration fascinent certains des rédacteurs du quotidien orange. Régulièrement, ses pages s’ouvrent à des séries d’articles sur Christoph Blocher et sur l’UDC, en alternance avec d’autres articles qui font un inventaire complet des méfaits réels ou supposés des réfugiés, des Roms ou des immigrants balkaniques. Là où d’autres journaux évoquent ces faits à la mesure de leur importance réelle au vu du reste des questions d’actualité, le Matin semble en faire un abcès de fixation. Ici, pourtant, le rédacteur en chef du Matin-dimanche tombe le masque !
En effet, il a relevé dans une dépêche d’agence, quelques jours auparavant, que presque 70 % de la population carcérale était composé d’étrangers. Pire, d’autres médias se sont contentés de le signaler et les politiciens interrogés ont répondu qu’ils le savaient pertinemment et que c’était déjà le cas depuis quelques années. Michel Danthe est donc scandalisé et va jouer avec les chiffres…
70 %, c’est peu ou c’est beaucoup ? Pour le savoir, le rédacteur en chef va se pencher sur la statistique française en la matière et découvrir que « seulement 19 % » des détenus y sont étrangers. La comparaison est posée, et comme trop souvent, elle n’est pas raison. Et cela, pour plusieurs raisons.
La première, c’est que la population étrangère est presque quatre fois plus importante en Suisse qu’en France (21,8 en Suisse % et 5,6 % en France), pour une raison que nous connaissons fort bien : la France connaît le droit du sol et naturalise plus rapidement que la Suisse. Il s’ensuit qu’il y a proportionnellement plus d’étrangers en Suisse qu’en France dans tous les milieux et notamment aussi le milieu carcéral. Logique : si on appliquait les lois françaises sur la nationalité, nos chiffres seraient probablement assez proches des leurs.
Deuxièmement, ces 70 % comprennent également un certain nombre de détenus qui le sont pour avoir transgressé une loi qui ne concerne pas les Suisses, soit la loi sur le séjour des étrangers. Si on regarde les chiffres proposés par l’Office fédéral de la statistique, on relève que 403 personnes sont détenues au titre des « mesures de contrainte selon la loi étrangère« , ce qui représente 10 % des détenus de nationalité étrangère (le 69,7 % des 5780 détenus représente 4028 personnes). Et l’effectif des détenus étrangers comprend encore d’autres personnes détenues (sans les fameuses mesures de contrainte) pour des infractions aux lois sur les étrangers et les récents durcissements ne peuvent que contribuer à une augmentation. Encore un élément qui va tendre à forcer les chiffres suisses.
Troisièmement, on rappellera qu’il faut absolument éviter de comparer les 70 % avec le 21,8 % d’étrangers dans la population suisse, même si la tentation est grande. Les étrangers emprisonnés en Suisse comptent généralement moins d’étrangers résidant en Suisse que d’étrangers venus pour commettre un délit depuis l’étranger (l’Europe compte des centaines de millions d’habitants, presque tous non-suisses !); dans le cas particulier de la prison préventive, ils représentent 48 % de tous les détenus. C’est très probablement aussi le cas en France, cela dit.
Quatrièmement, les modifications apportées au code pénal (notamment les jours-amendes et d’autres formes de contrôle pénal) bénéficient plus particulièrement aux citoyens suisses (et aussi à une partie des étrangers établis), ce qui va aussi contribuer à sous-représenter les Suisses dans la population carcérale. Et j’en profite pour ajouter au passage que les statistiques de la population carcérale ne sont pas forcément similaires à celles de la délinquance et que la prison préventive peut aussi toucher proportionnellement plus les étrangers (logiquement plus suspects de fuite) que les Suisses.
Bref, il est très facile de balancer son petit « 70 % » dans un éditorial pour faire mousser son lectorat porté sur la chose et provoquer une hystérie de commentaires endiablés sur son site, mais c’est une manipulation, une de plus pour ce quotidien. Pour la clarté des choses, on appréciera que le Matin ne cherche plus à cacher sa véritable orientation politique. Cela se remarque en particulier à certains des termes utilisés dans l’article du jour : ainsi, pour décrire la manifestation qui avait eu lieu à Berne en octobre 2007, le journal évoque « la ville mise à feu et à sang ». Sans avoir peur d’exagérer…
Dans cette alliance à 70 %, le Matin et l’UDC se retrouvent bien. La « criminalité étrangère » apporte des lecteurs aux uns et des électeurs aux autres. Dans ces conditions, qui aurait envie de réellement chercher à résoudre les problèmes ? Faire du bruit sur le sujet, se scandaliser à bon marché, manipuler avec les chiffre, stigmatiser des populations entières au noms de minorités délinquantes… mais aussi toujours se refuser à s’attaquer à l’origine des problèmes : voici bien des points communs entre le parti nationaliste et son organe officieux.
Daniel
P.S. : Et je précise, pour éviter tout malentendu, que je ne préconise pas de nier les problèmes ni de détourner les yeux. Simplement, je relève qu’il y a ici une façon très particulière de les aborder.
Le Temps du 4 novembre 2008 : Obama ou McCain, le vainqueur héritera d’une montagne de dettes
Le Temps, qui se veut un journal sérieux et documenté, abonde en représentations graphiques et tableaux de chiffres. C’est très bien, car cela complète l’information du lecteur. Cependant, une présentation statistique, graphique ou non, obéit à quelques règles et il est préférable de ne pas s’asseoir dessus.
Dans le graphique du jour, il est question de la « dette américaine« . Le graphique représente justement l’évolution de la dette depuis 1950, en %. Quelles sont donc les failles de cette présentation :
- De quelle dette s’agit-il ? de la dette publique, ou de la dette nationale comprenant dettes publiques et privées ? de la dette de l’Etat fédéral uniquement ou consolidée avec les dettes des Etats fédérés ?
- La dette en %… mais en % de quoi ?
Bien sûr, une lecture attentive de l’article va permettre de comprendre qu’il s’agit en effet de la dette publique en % du Produit intérieur brut (PIB). Mais on ne devrait pas avoir à le deviner, surtout qu’il s’agit d’un long article et qu’une partie des lecteurs risque de sauter à pieds joints dessus. Malheureusement, ce phénomène se reproduit tout de même assez souvent, avec pas mal de graphiques qui sont insérés à la va-vite. Parfois, il y a même eu des erreurs dans le titre du graphique ou une inversion des échelles.
Bref, c’est super de mettre des graphiques… mais SVP un peu d’attention et de précision. Surtout pour les jeunes lecteurs qui n’ont pas toujours le bagage permettant de reconstituer immédiatement les informations manquantes.
Dani
Le Matin du 7 octobre 2008 : 500 mariages étaient faux !
http://www.lematin.ch/fr/actu/suisse/500-mariages-etaient-faux_9-258544
La question des mariages blancs inquiète les autorités des cantons, qui souhaitent être plus restrictives ou du moins vérifier plus rigoureusement les intentions des futurs mariés. Le Matin propose donc un article relatant les résultats obtenus par le canton de Zürich qui utilise le service de détectives pour enquêter sur les couples en question. En soi, un tel article n’aurait rien d’illégitime s’il ne contenait pas une manipulation éhontée dans son sous-titre !
En effet, je ne juge pas ici le fond de la question. Les cantons ont des stratégies diverses sur ce point et mon propos n’est en aucun cas de tenter des comparaisons. Par contre, l’article du Matin relate très brièvement l’expérience zurichoise à l’aide de quelques chiffres, mais détaille plus longuement les procédures vaudoises et effectue un rapide tour d’horizon des autres cantons romands. C’est une forme de comparaison.
Revenons donc aux chiffres. Le titre de l’article énonce : « 500 mariages étaient faux !« . Il s’agit d’un chiffre brut qui ne permet pas de se faire une idée des proportions. Suit alors le sous-titre (ou chapeau) qui propose les éléments suivants : « Sur 3500 unions, 500 étaient feintes« . Ce sont les 500 mariages refusés. 500 sur 3500, cela représente 1 cas sur 7, autrement dit plus de 14 %.
C’est absolument énorme ! Or, c’est là que réside la manipulation : en lisant l’article plus avant (ce que ne feront qu’une partie des lecteurs, on le sait très bien… le Matin est un journal qui se feuillète !), on découvre que le chiffre de 3500 représente les « demandes de mariage jugées douteuses ». Il ne s’agit donc que d’une partie de l’ensemble des mariages, ceux pour lesquels les autorités civiles ont exprimé quelques doutes et qui ont donc été soumises à une investigation plus approfondie. Une petite recherche du côté du Bureau statistique du canton de Zürich montre en effet que le nombre de mariages en 2007 se montait à 8179. Avec les 500 demandes refusées, l’ensemble des demandes se montait donc à 8679 (s’il s’agit bien d’exactement 500 et non d’un chiffre approximatif, mais cela donne au moins un ordre de grandeur…). Reprenons les calculs : 500 refus sur 8679, cela donne 1 refus sur 17, soit 5,7 % environ.
Cela reste beaucoup, mais tout de même largement inférieur à 14 % et 1 sur 7. Bon, naturellement, il ne faudrait tenir compte ici que des mariages entre suisses et étrangers, qui constituent tout de même la majorité des mariages à Zürich (~6’000 -le chiffre de 1 pour 12 serait donc peut-être plus prudent de ma part), mais on pourrait aussi tenir compte de certains mariages entre suisses qui sont « mis à l’enquête ». Bref, difficile de faire absolument précis. L’essentiel que je souhaite montrer, c’est bien que le Matin ne prend pas vraiment les précautions…
Les lecteurs qui lisent que les valaisans n’ont « pas de brigades antimariage blanc » ou que la ville de Genève est jugée « la plus permissive » sont prêts à hurler et la manipulation a atteint son but. La situation est suffisamment gênante sans devoir encore la grossir en abusant du lecteur… Et une nouvelle fois, on va désigner ces « salauds d’étrangers » qui viennent tricher en se mariant en Suisse. Le Matin serait plus « pertinent » disait Ariane Dayer. C’est ça, sa pertinence ?
Dani
24 heures du 2 octobre 2008 : Caracas est la reine des capitales du meurtre
http://www.24heures.ch/actu/monde/2008/10/01/caracas-reine-capitales-meurtre
La page 9 du « 24 heures » de ce jour propose les résultats d’une étude publiée par la revue américain « Foreign policy » sur les villes dangereuses. Cette étude a consisté à comparer les taux de criminalité, exprimé en nombre d’homicides pour 100’000 habitants d’un nombre limité de villes, c’est-à-dire 130. Comment ce chiffre a été décidé et comment les villes ont été sélectionnées pour être prises en compte dans ce travail, on ne le saura pas.
Ce qui n’empêche pas « 24 heures » de titrer son graphique (visible ci-dessus) « Les villes les plus dangereuses de la planète » et d’établir un classement des cinq premières. En consultant ce classement, on est très vite amené à s’interroger : Moscou prendrait la 5ème place avec « seulement » 9,6 meurtres pour 100’000 habitants alors que la 4ème place implique 54 meurtres pour 100’000 habitants. Rien entre les deux, alors qu’il y a de nombreuses villes semblables aux 4 premières dans les mêmes régions ?
En réalité, la présentation de « Foreign policy » n’implique pas de classement : il s’agit uniquement de la « sélection » de la ville réputée la plus dangereuse pour chaque continent. Ainsi, Moscou peut selon ce classement revendiquer la première place européenne, mais lui attribuer la 5ème place planétaire n’a aucun sens. Et n’oublions pas qu’il s’agit d’une sélection de 130 villes seulement sur 6 continents concernés (en comptant séparément les deux Amériques), soit probablement pas plus d’une vingtaine en Europe. Cette sélection non explicitée ne garantit pas que toutes les villes « dangereuses » aient bien été prises en compte.
Le travail du rédacteur de cet article a consisté concrètement en une traduction des faits contenus sur le site de « Foreign policy« , puis en un résumé sous une forme proposant une synthèse agréable. Jusque-là, aucun problème. Mais ensuite, il aurait fallu savoir s’abstenir de vouloir y voir un classement et des résultats absolus qu’une étude sur 130 villes seulement ne peut pas révéler.
D’une certaine manière, on pourrait dire qu’on s’en fiche un peu de savoir si ce sont vraiment les villes les plus dangereuses et si ce classement a du sens. Ce n’est après tout qu’un article de plus permettant de dépayser le suisse et lui montrer à quel point c’est bien pire ailleurs. Le problème, c’est que des semblables statistiques, sur la criminalité ou sur toute autre variable, en Suisse, sont régulièrement présentées avec la même légéreté.
Il devient indispensable d’y réfléchir dans les rédactions qui souhaitent encore tenter de transmettre une information pertinente, vérifiée et rigoureuse.
Dani
Le Matin bleu du 4 août 2008 : Le camp des scouts à court de capotes
Info reprise également par Le Temps du 4 août 2008
…d’après une « info » du Sonntagsblick du 3 août…
L’article n’apparaît pas sur le site internet du Matin, mais il est très court, le voici :
Les 25’000 jeunes qui ont participé au camp fédéral de scouts n’ont pas fait que chanter autour du feu. les 1000 préservatifs prévus par les organisateurs ont tous trouvé preneur. Deux jours avant la fin du rassemblement, les stocks étaient épuisés. Lors du dernier camp de 1994, 250 filles seraient tombées enceintes, selon le « Sonntagsblick ».
Aaaah, les chiffres… on peut leur faire dire n’importe quoi. La majorité des êtres humains sont décontenancés face aux statistiques et sont souvent prêt à tout accepter du moment que c’est chiffré. Voici un magnifique exemple dans Le « Matin bleu » d’aujourd’hui.
Ainsi, selon le journal gratuit, citant le Sonntagsblick, 250 jeunes filles seraient tombées enceinte lors du camp fédéral des scouts « Cuntrast » en 1994. A priori, ce chiffre n’éveille pas de soupçon particulier et chacun continuera sa lecture en se disant que les scouts sont décidément de chauds lapins. Alors, voyons cela de plus près…
Le camp fédéral de 1994 a réuni 23’000 participants. Je vais supposer a priori que la moitié sont des filles (ce qui est probablement surestimé), ce qui donne 11’500. Si on dénombre 250 grossesses, cela fait donc environ 2,2 % des participantes, sur un laps de temps d’environ 2 semaines.
Je me propose donc de comparer avec l’ensemble de la population jeune de la Suisse. Au milieu des années 90, la population féminine entre 15 et 30 ans représentait environ 760’000 personnes. Si je leur applique le 2,2 %, cela me donne 16720 grossesses, soit plus de 20 % du chiffre annuel des naissances. De bon augure pour les effectifs du mouvement scout. Mais cela ne suffit pas encore, puisque le camp n’a duré que 2 semaines des 52 que comprend une année. Sur une année, on arriverait donc au chiffre de 434’720 grossesses, soit 5 fois plus que le total des naissances en Suisse…
Et je dois ajouter que j’ai choisi une hypothèse très basse. Les filles sont minoritaires dans le mouvement scout et, de plus, les participantes au camp comptent un certain nombre de filles trop jeunes pour être enceintes. Donc, on pourrait partir de l’hypothèse de 7000 filles (soit 3,6 % d’entre elles enceintes) et ne pas se limiter aux femmes entre 15 et 30 ans, mais pousser jusqu’à 38. Cela nous conduirait à plus d’un MILLION de grossesses sur l’année 1994 qui n’a connu pourtant « que » 82’980 naissances !
Alors, je ne sais pas où nos journaux ont été chercher ce chiffre de 250 jeunes filles enceintes, mais il est complètement farfelu ! Je me dois encore de préciser que le nombre d’interruption de grossesses tourne aujourd’hui autour des 6,5 pour 1000 (il est plus faible pour les adolescentes) et atteint en général un nombre entre 10’000 et 12’000 par année en Suisse (selon l’OFS). Appliqué sur les 434’720 grossesses envisagées par mon premier calcul (le plus prudent !), cela donnerait encore 406’463 naissances !
Ce petit jeu est amusant. Lorsqu’on nous balance ainsi des chiffres, il est assez souvent avantageux d’essayer de les « faire parler » : cela permet de débusquer pas mal d’idioties…
Dani
P.S. : Et je constate à l’instant que le « journal de référence » LE TEMPS répète lui aussi ce même chiffre en page 23 aujourd’hui (en précisant : selon des sources inofficielles, donc invérifiables) … Personne n’est à l’abri des chiffres !
Office fédéral de la statistique pour les différents chiffres : http://www.bfs.admin.ch/bfs/portal/fr/index.html