Piques et répliques – 2

Quelques réflexions critiques sur tout et rien

  • Accueil
  • > Archives pour le Dimanche 6 mars 2011
Archive pour le 6 mars, 2011


L’idée reçue : la presse est de gauche

6 mars, 2011
L'idée reçue | 23 réponses »

A propos d’un article paru sur Swissinfo, le 3 mars 2011 : La couleur politique de la presse francophone en débat

http://www.swissinfo.ch/fre/societe/La_couleur_politique_de_la_presse_francophone_en_debat.html?cid=29626122&rss=true

L'idée reçue : la presse est de gauche dans L'idée reçue

.

Un sujet qui pourrait donner à causer…

Pour bien des gens (de droite surtout, parfois aussi du centre), l’affaire est entendue : « La presse est de gauche« . La répétition à multiples reprises du poncif jouant apparemment un rôle de confirmation… Mais comme avec bien des sentences, le simple fait que beaucoup de monde les répète sans jamais les discuter devrait mettre la puce à l’oreille et inciter à discuter un peu l’affirmation. J’y songeais depuis quelques temps… Swissinfo m’en donne l’occasion.

Celui qui a fait un peu de bruit ces derniers temps, c’est Ueli Windisch, avec son projet d’un média vraiment réellement complètement assurément « de droite« . Il affirme que la presse est presque uniformément de gauche, sans être beaucoup contredit (exception toutefois ici, dans l’Hebdo). Pendant ce temps, les choristes répètent : « la presse est de gauche, de gauche, de gauche« … Parfois, c’est encore pire, l’ensemble des journalistes est catalogué « gauchiste« , alors que le gauchisme n’est qu’un courant d’extrême-gauche… Cette perte de nuance entre « de gauche » et « gauchiste » peut être due à l’ignorance ou à une volonté délibérée de biaiser le débat… Allez savoir !

Il y a bien sûr cette étude (mentionnée ici) faisant état des préférences politiques concrètes des journalistes : environ 60 % d’entre eux privilégieraient les listes du PS ou des Verts lors d’une élection. C’est une information, un élément à prendre en compte. Au fond, ce n’est guère étonnant : pour la plupart d’entre eux, les journalistes appartiennent au peuple des gens bien formés, mais mal payés. Dans ces conditions, un vote à gauche n’est pas une surprise incommensurable. Sans compter qu’il s’agit souvent aussi d’une population urbaine, aujourd’hui plus souvent à gauche. Les journalistes seraient donc majoritairement (pas uniformément, donc !), de gauche. Cela induit-il pour autant que « la presse » soit « de gauche » ?

Pour répondre à cette question, il faudrait pouvoir observer les choses plus en finesse. Les 60 % de journalistes de gauche ont-ils la responsabilité de signer les éditoriaux et les commentaires ? Sont-ce eux qui se chargent des sujets sensibles qui définissent l’orientation politique de leur journal ? Ou sont-ils au contraire sur-représentés dans les rubriques culturelles ou sociétales ? Ce ne sont là que des hypothèses, pas complètement imaginaires. Les directeurs, les rédacteurs en chef et les chefs de rubriques sont-ils bien de gauche ? Petite comparaison : on dit aussi souvent que les enseignants sont « de gauche » (quand on ne dit pas carrément que tous ou presque sont d’extrême-gauche, comme Mme Miauton, simpliste certifiée). Pourtant, les directeurs d’établissement sont eux assez souvent « de droite« … Compte tenu de ces remarques, il me semble difficile de soutenir sans mener plus avant la réflexion que « tout le monde le sait, la presse est de gauche« … comme certains n’hésitent jamais à le répéter.

Au fond, beaucoup se contentent de considérer que la presse favorise leurs adversaires politiques. Ainsi, l’UDC considère que la presse est uniformément de gauche à partir de son propre positionnement, vers l’extrême-droite. D’un tel point de vue, même la presse libérale devient « gauchiste« . A gauche, on aura au contraire tendance à considérer que la presse est de droite parce qu’elle est liée au pouvoir économique. Difficile de trancher le noeud gordien à partir de positionnements aussi catégoriques tout en étant très relatifs.

Il convient aussi de définir ce qu’on entend par gauche et droite, ce qui pourrait nécessiter au moins une dizaine de pages, tant la notion est complexe et fluctuante au cours du temps. Des éléments comme la Nation, le Libéralisme, l’Etat, la Solidarité ou la Liberté ont tour à tour pu faire partie du patrimoines des deux versants politiques. Toujours est-il que l’opposition gauche-droite se cristallise aujourd’hui en Suisse surtout autour de l’économie, de la solidarité sociale, du rôle de l’Etat, de l’écologie et de la relation à l’étranger. Je me propose donc de simplement passer au crible certains des principaux journaux de Suisse romande, en toute subjectivité, et d’essayer de les classer.

Le Temps : Ce quotidien est ouvertement d’obédience libérale. Il suffit de lire les éditoriaux pour s’en convaincre aisément. Sa rubrique économique du lundi est sous-traitée à des banquiers et des chroniqueurs comme Kappeler ou Miauton sont là pour rappeler avec ferveur les vertus du libéralisme. Cela n’empêche toutefois pas ce journal d’ouvrir ses colonnes à divers intervenants de tous horizons et de prendre des positions humanistes sur le rapport aux étrangers ou sur les droits fondamentaux. Mais on peut être humaniste et de droite. A classer dans « droite libérale », occasionnellement au centre-droite.

24 heures : Le quotidien vaudois n’affiche pas ouvertement une tendance politique. Mais les échanges de cadres entre lui et le parti radical ont à plusieurs reprises fait jaser. Ici aussi, les éditoriaux penchent le plus souvent en faveur d’une droite modérée. Cela n’exclut toutefois pas des prises de position différentes à l’occasion de votations. Cela était notamment plus souvent le cas lorsque le rédacteur en chef, il y a quelques années, s’appelait Jacques Poget. Actuellement, je le classe dans « centre-droite ». Le positionnement de la « Tribune de Genève » est à mon sens similaire, ce qui semble logique.

Le Matin : Ce quotidien racoleur et boulevardier est assez difficile à classer. Au fond, tout ce qui fait scandale le motive et le satisfait. On peut donc y trouver à l’occasion à manger pour toutes les tendances politiques. Avec Peter Rothenbuhler, les éditoriaux étaient assez uniformément de droite, voire très très à droite. Aujourd’hui, c’est un peu plus nuancé. Cela dit, l’intérêt marqué pour les problématiques de l’UDC manifesté par ce journal tend à le marquer à droite. Je le classe dans « populiste » surtout de droite.

20 minutes : Le quotidien gratuit s’était présenté en expliquant qu’il ne voulait pas faire de commentaires et se borner à énoncer des faits. Dans la pratique, il ne parle pas beaucoup de politique, puisque son attention est monopolisée par l’anecdotique le plus trivial. Pas de commentaires, mais tant d’autres moyens de marquer des préférences, d’autant moins franchement qu’il n’y a justement pas de commentaires. Son insistance quasi pathologique à présenter sous un mauvais jour les étrangers, les musulmans, les chômeurs, les fonctionnaires et tant d’autres m’incitent à le classer « à l’extrême-droite ».

L’Hebdo : Le magazine romand du jeudi a surtout un positionnement pro-européen. Ses rubriques économiques sont clairement marquées à droite, mais plusieurs des commentateurs n’hésitent pas occasionnellement à prendre des positions ouvertement « de gauche ». Il y a en tout cas une certaine diversité qui permet même à l’ultra-libéral Charles Poncet s’exprimer régulièrement. A classer, à mon avis, au « centre », voire au « centre-gauche ».

Le Nouvelliste : Le quotidien valaisan se positionne sur un créneau conservateur, comme son canton de résidence. Au surplus, il a souvent des plumes invitées qui n’hésitent pas à marquer résolument leur positionnement à droite, parmi lesquelles Ueli Windisch en personne. Pas de doute, quotidien à classer « à droite ».

La Liberté : Le quotidien fribourgeois est le plus important des journaux qui échappent à l’emprise de l’empire Tamedia/Edipresse. Ses prises de position oscillent entre le centre-droite et le centre-gauche, selon les sujets. Je le classe volontiers au « centre ».

Le Courrier : Cet ancien quotidien catholique-conservateur a subi une étonnante mutation durant les années 80 et 90. , C’est désormais un journal qui se positionne ouvertement à gauche, proche des associations. Je n’hésite donc pas à le classer « à gauche ».

Bilan : Le mensuel économique du groupe Tamedia/Edipresse est difficilement soupçonnable de pencher vers la gauche. Là aussi, la tendance est globalement libérale, ce qui n’empêche pas un certain esprit critique vis-à-vis de la vulgate. Tendance « droite libérale ».

Je ne connais pas assez les journaux qui restent, ceux de Neuchâtel et du Jura notamment, ni les journaux régionaux comme « La Côte » ou « La Gruyère ». J’en resterai donc là. Ce qui ressort, c’est qu’on peut difficilement asséner de façon péremptoire que la presse est systématiquement à gauche (et à propos de la presse de gauche, voir cet article de Swissinfo). Elle est même plutôt à droite, même si c’est une droite plutôt centriste et raisonnable. C’est peut-être d’ailleurs cela qui dérange réellement « à droite » : qu’il n’y ait pas une presse franchement à droite, comme la Weltwoche ou le projet à venir d’Ueli Windisch. Au-delà d’une droite libérale assez bien représentée, il manque en effet un organe (en laissant de côté l’exception pitoyable de « 20 minutes ») pour représenter une droite « décomplexée » de type UDC.

Je le répète : ces classements sont uniquement le fait de ma propre subjectivité. Ils sont donc « discutables » par définition. Cette série de descriptions n’a pas la prétention de clore le débat sur le positionnement politique des organes de presse suisses romands, mais elle peut inciter à un peu plus de nuances. Il est trop facile et trop simpliste de se borner à répéter sempiternellement le même préjugé sans essayer de le confronter aux réalités. Ceux qui répètent comme des perroquets que la presse, de toute façon, est « de gauche » sont trop souvent ceux qui, à choix, ne la lisent pas, ne savent pas faire la différence entre gauche et droite ou, pire encore, ne savent pas vraiment lire… Ceux qui échappent à ces trois catégories seront, j’en suis certain, capables de plus de nuance.

Daniel

kass les nuts !!!! |
CDI Toulouse-Lautrec |
NEW DAY RELOOKING |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | hhrmo
| Pourquoi boycotter le Danem...
| ronni