Le Temps du 26 février 2011 : Anne-Catherine Lyon à l’heure du désamour
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L’an prochain, en 2012, auront lieu les élections cantonales dans le canton de Vaud. Des articles apparaissent çà et là, tournant autour des sortants pour évaluer leurs intentions et leurs chances. Ce samedi, « Le Temps » s’intéresse au cas de la ministre responsable du Département de la formation, de la jeunesse et de la culture « à l’heure du désamour« .
« Désamour« … Après l’amour, le désamour. On est dans le « j’aime, j’aime pas ». Toute la première partie de cet article évoque des « grognes » ou « des enseignants qui ne peuvent plus la voir ou en tout cas plus l’entendre« . Ce portrait oppose de fait un exposé des faiblesses supposées de la ministre (sa voix monocorde, ses phrases saccadées, des formules de technocrates, l’exposition des aspects ingrats de sa personnalité) à une présentation plus en finesse des dossiers qu’elle a fait aboutir ou des solutions mises en place. En résumé : une ministre compétente et efficace, mais un « désamour » dû aux apparences. Les enseignants, premiers visés ici, sont des simplets de première catégorie qui jugent la ministre sur le ton de sa voix…
Loin de moi l’idée de contester la qualité du travail réalisé dans bien des domaines. Les compromis trouvés n’étaient pas faciles à mettre en place et ce département est connu pour ses chausses-trappes. Mais la façon dont cet article met en scène les réticences d’une partie des enseignants à soutenir la ministre m’incite à réagir.
Lorsqu’on travaille dans un département, on voit les choses un peu différemment de ce qui paraît dans la presse ou de ce qui est discuté sur la place publique. On voit surtout d’autres choses… Je me contenterai de quelques exemples :
- Il y a quelques temps, le département de la formation a décidé d’imposer un nouveau logiciel « qui fait tout » pour la gestion des écoles. Les cadres de Mme Lyon ont décidé de commencer son introduction par les écoles les plus compliquées (à cause de la diversité des offres), soit les écoles professionnelles. Ce fût une véritable Berezina. Les 8 millions prévus se sont très vite vus suivis par d’autres millions pour colmater des brèches et sauver des têtes. On a usé un certain nombre de doyens et de secrétaires pour s’escrimer avec un programme qui aurait paru juste à jour dans les années 80. Il semble d’ailleurs en train de mourir discrètement dans un coin pendant que des secrétaires doivent maintenant resaisir des notes que les enseignants avaient au préalable saisis dans un fichier Excel. Un vrai merdier !
- Les responsables cantonaux de l’enseignement professionnel ont aussi imaginé en toute hâte une série de nouvelles règles pour venir compliquer des dispositifs qui étaient déjà compliqués. Ainsi, le TIP (travail interdisciplinaire) des maturités professionnelles doit désormais nécessairement recevoir des notes qui seront inscrites dans deux branches enseignées. Ignorant complètement le fait que ce travail sollicite très naturellement plus certains enseignements (le français, les sciences humaines, les sciences naturelles) que d’autres (l’allemand, l’anglais, les mathématiques), le nouveau dispositif conduit à des bricolages complètement absurdes. Des élèves recevront ainsi une note d’anglais pour un travail traitant d’histoire (et n’ayant bien sûr rien à voir avec l’anglais !) parce qu’il aura été évalué par un enseignant d’anglais, plus disponible que l’enseignant d’histoire déjà trop chargé. Ce n’est un exemple : ces directives cumulent les absurdités…
- Tous les apprentis reçoivent un enseignement dit de « Culture générale ». Les programmes de base, définis lors d’une réforme en 1996, contiennent généralement beaucoup de thèmes en rapport avec l’instruction civique et le droit (mais aussi du français, un peu d’économie et d’histoire). Mais les connaissances juridiques en sont l’élément central, pour préparer les jeunes apprentis aux difficultés de leur vie d’adulte. Mais Mme Lyon a décidé que les titulaires de diplômes en droit et en sciences politiques ne seraient plus sélectionnés pour enseigner cette branche. Peut-être dans le but de favoriser l’embauche de gens issus des facultés de lettres rencontrant des difficultés sur le marché du travail… C’est sympathique, mais c’est ainsi que de jeunes enseignants s’arrachent les cheveux pour enseigner des matières pour lesquels ils ne sont pas du tout préparés. L’idéal, dans une branche composée généralement d’une équipe assez nombreuse serait d’avoir à disposition des gens issus de branches diverses – droit, lettres, économie, sciences politiques – qui collaborent pour proposer un programme riche. Loin du terrain, cela a été purement et simplement ignoré.
- Les responsables du département se sont encore efforcés de compliquer l’accès à l’enseignement pour les gens qui auraient auparavant travaillé dans d’autres domaines. Ceux-ci font face à des exigences tatillonnent et dénuées de fondement sérieux la plupart du temps. Pourtant, la formation professionnelle en particulier aurait tout à gagner à l’embaucher de gens qui ont roulé leur bosse et qui apportent un surcroît de crédibilité à l’enseignement donné à des jeunes en train d’apprendre un métier. On préfère jouer avec les subtilités des règlements…
Alors, le journaliste du Temps peut toujours gloser sur « le désamour« , « la voix monocorde » ou « les aspects ingrats de la personnalité« , je lui réponds qu’une enquête plus minutieuse aurait révélé bien d’autres motifs de scepticisme à l’égard de la conduite du département. Une direction qui impose au pas de charge des solutions bricolées sans concertations favorise souvent des aberrations kafkaïennes. Mais les enseignants qui vivent ces réalités au quotidien n’entendent que rarement la voix de leur cheffe de département. Il semble qu’il soit plus facile de tout expliquer par les « apparences »…
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Daniel