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Dans la plupart de nos journaux ces derniers jours…
Les quotidiens parus ces derniers jours ont vu fleurir parmi leurs annonces publicitaires un appel à voter « Non » lors de la votation sur la libre circulation des personnes. Cette annonce est particulièrement frappante parce qu’elle affiche un tableau comparant les taux de chômage des suisses, des allemands et des portugais résidant en Suisse et que celui-ci serait censé achever de nous convaincre : +89 % pour les portugais et +50 % pour les allemands !
Le mieux est de lire l’annonce en question :
Comme à l’ordinaire lorsque des statistiques sont utilisées dans l’argumentaire politique, seuls quelques chiffres sont isolés de leur contexte pour mieux servir une cause particulière. Le principal parti impliqué dans la campagne contre l’accord bilatéral est d’ailleurs coutumier du fait : les chiffres sont toujours soigneusement découpés comme il se doit pour mettre en évidence une évolution supposée et les dates de début et de fin des séries sont sélectionnées pour soutenir la démonstration. Ici, pourquoi seulement les chiffres de septembre 2008 à décembre 2008 (et rien avant) ? Pourquoi seulement les portugais et les allemands ? Pourquoi une comparaison entre « les étrangers parmi les chômeurs » et « les étrangers dans la population totale » et pas dans la population active où ils sont proportionnellement plus nombreux ?
Je ne vais pas décortiquer complètement ces chiffres : quelqu’un l’a déjà fort bien fait dans l’édition du 7 février de « La Liberté » de Fribourg (Gérard Tinguely) et je vous soumets donc ci-dessous quelques unes de ses analyses :
« Ainsi, de septembre à décembre, le chômage des Suisses a crû de 17%, celui des Allemands de 50% et celui des Portugais de 89%. Mais cela ne signifie pas que l’affirmation «libre circulation = chômage» soit pertinente. Au contraire, vu sur une plus longue période, c’est l’emploi qui a prospéré. Parmi les 15 anciens membres de l’UE, les ressortissants allemands et portugais sont bien ceux qui ont le plus profité de la libre circulation depuis un an et demi. La haute conjoncture a suscité un appel d’air qui a permis à l’économie suisse, notamment ses industries d’exportation, de créer 250 000 nouveaux postes. Cela n’aurait pas été possible sans cette main-d’oeuvre. Et ce n’est pas étonnant, la baisse des commandes venue, qu’elle soit frappée en premier. »
« Par ailleurs, un accroissement de 50% et de 89% du nombre de chômeurs étrangers, si impressionnant soit-il, ne dit pas tout. D’abord, il se réfère aux quatre mois de la fin 2008, une période qui a été la plus marquée par la crise financière et économique. Ensuite, ces pourcentages laissent imaginer de gros bataillons. Ce qui n’est pas nécessairement le cas: on peut ainsi obtenir 50% d’augmentation en passant de 300 à 450 chômeurs allemands. »
« Là où le bât blesse le plus, c’est avec le pourcentage de 89% concernant les Portugais. Chacun sait qu’ils sont principalement occupés dans la construction, le génie civil et l’hôtellerie-restauration. Et qu’ils passent souvent par du chômage dû aux conditions hivernales. Or la publicité des opposants passe sous silence ce facteur saisonnier qui les obligerait à réduire de plus de moitié leur pourcentage. Ainsi, pour le seul mois de décembre 2008, le chômage total a augmenté de 10,3%. Mais corrigée des facteurs saisonniers, l’augmentation n’est plus que de 4,2%. Dans la construction, le chômage a par contre bondi de 53,4% au 12e mois. »
« En fait, l’interprétation des statistiques dépend des lunettes que l’on chausse et du moment de l’observation. Pour la première fois depuis 2003, le chômage a été à nouveau plus élevé à la fin qu’au début de l’année. Mais l’examen du premier semestre 2008 aurait encore montré un recul de 20.000 chômeurs! »
Une fois de plus, on constate qu’on peut faire dire beaucoup de choses aux statistiques, en tout cas si le lecteur est disposé à croire sans examiner plus à fond les allégations. J’ai d’ailleurs à plusieurs reprises relevé ce fait sur ce blog avec des exemples tout à fait concrets (dans cette même catégories « Des statistiques« ). Mais ce qui me frappe davantage dans la confrontation de cette annonce payante avec les réponses réfléchies de Gérard Tinguely, c’est à quel point il est facile de lancer « sur le marché » des chiffres isolés au service d’une thèse simpliste et à quel point il est difficile de contrer cette argumentation. Il faut beaucoup plus de lignes pour démonter les slogans ravageurs que pour les lancer. Combien de personnes auront lu et compris l’annonce ? Combien de personnes auront remarqué et lu l’article de « La Liberté » (également publié par « Le Courrier ») ? Combien de personnes se seront données la peine de la confronter les deux « informations » ?
La démocratie directe a cela de difficile qu’elle suppose le citoyen « capable » d’entrer dans des démarches intellectuelles peu aisées sur des accords internationaux, des lois fiscales, des systèmes de retraite et des argumentations juridiques ou économiques. On aimerait se convaincre que cette supposition est parfaitement réaliste… Lancer des slogans grâce à l’aide de publicitaires aguerris risque pourtant de rester souvent plus efficace que d’argumenter patiemment.
En attendant, cette annonce des derniers jours de campagne montre bien que l’opposition aux accords n’est pas qu’une fronde contre un soi-disant « paquet » ou contre l’extension à la Roumanie et la Bulgarie des accords. Ici, c’est bien la libre circulation des portugais et des allemands qui est mise en exergue, soit les accords dans leur acception première. Il faudra s’en souvenir à l’heure de l’analyse des résultats.
Daniel
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