20 minutes du 22 août 2008 – Abus sexuels : gare aux copains d’école
http://www.20min.ch/ro/ L’article n’est pas en ligne – c’est une dépêche de l’ATS – mais on peut retrouver une bonne partie du texte ici (c’est parfois pratique le copier-coller général…)
Voilà un « scoop » qui ne va pas faciliter la rentrée de certains élèves. Aujourd’hui, le quotidien gratuit 20 minutes attaque le retour dans les écoles avec une manchette qui frappe : « Agressions sexuelles, méfiez-vous des copains ! » Le court texte en première page renchérit avec « l’école est devenue à risque » et l’entête de l’article ajoute « l’école est devenue l’un des principaux théâtres des agressions sexuelles entre les jeunes ». Faut-il renoncer à envoyer ses adolescents à l’école lundi prochain ?
Manifestement, la thèse du rédacteur du jour est que l’école est devenu un lieu dangereux pour l’intégrité sexuelle, les phrases citées ci-dessus ne laissant aucun doute à ce propos. Au surplus, le titre de l’article en page 2 en rajoute encore une couche : « La moitié des abuseurs se cachent parmi les copains ». 20 minutes a-t-il mis le doigt sur un réel danger ?
Eh bien, NON, et il faut le dire suffisamment clairement. D’abord par ce qu’on trouve dans l’article lui-même, notamment : « Quand on compare les chiffres entre 1999 et 2007, on ne constate pas d’augmentation (des agressions sexuelles) ». C’est ce qu’affirme une étude de l’Université de Zurich qui a servi de prétexte à cette nouvelle tentative d’instiller la peur dans les chaumières. Par contre, son auteur note que les agressions sexuelles se sont « déplacées » en quelque sorte, car il y en aurait désormais proportionnellement moins à domicile et plus dans l’espace public, notamment à l’école (à raison de 17,8 %). Mais l’étude relève aussi que 4,3 % des 5000 élèves interrogés ont affirmé avoir été victimes d’une agression sexuelle (au sens large, cela va d’un attouchement déplacé jusqu’au viol !).
Ces différents éléments appellent quelques remarques :
- 4,3 % d’agressions sexuelles contre 18,4 % de lésions corporelles. Manifestement, le danger lié aux abus sexuels n’est pas le plus courant !
- 17,8 % de ces 4,3 % d’élèves agressés l’ont été à l’école, ce qui représente donc moins de 0,8 des élèves. Moins d’un élève sur 100, l’école est loin un nid à viols !
- Dire que 50 % des abuseurs de trouvaient être des jeunes d’âge en rapport ni signifie pas que 50 % des jeunes en général sont dangereux ! Même s’il ne le dit pas comme ça, le tour de passe-passe sous-entendu par les titres de l’article peut le laisser facilement imaginer. Or, si 4,3 % des élèves sont abusés et que la moitié environ l’est par des « copains », cela ne concerne que 2 % des jeunes !
- Et finalement, si on constate que le nombre d’agressions déclarées par les élèves est le même qu’en 1999, cela ne signifie pas automatiquement qu’il est véritablement le même. On peut aussi envisager qu’il ait augmenté ou diminué, car il n’est pas évident que la tendance à le déclarer (même anonymement) reste stable. D’ailleurs, on admet aujourd’hui plus facilement que des attouchements, même légers, ou de la pornographie imposée, sont aussi des agressions sexuelles. On peut très bien imaginer que les jeunes de 2007 soient mieux informés et prêts à les évoquer dans le questionnaire…
L’article finit presque sur une touche positive, en déclarant que contrairement aux clichés, les agressions ne sont que rarement filmées avec le téléphone portable (on est vachement étonnés !) Mais quels clichés, en fait ? Ceux qui font l’obsession des journaux gratuits ? (Voir à ce propos cet ancien billet). Manifestement, l’abus sexuel est surtout un jouet médiatique très prisé par les journaux de caniveau (qui finissent d’ailleurs assez souvent dans le caniveau en réalité !).
Résumons. Une étude fournit des chiffres après avoir interrogé 5’000 jeunes. Ces chiffres permettent de remarquer que les abus se sont déplacés et qu’ils ont maintenant plus souvent lieu entre jeunes et moins souvent à la maison, mais que leur nombre n’a pas augmenté. Et « 20 minutes » traduit ces résultats par les conclusions suivantes : attention, l’école est dangereuse pour l’intégrité sexuelle et il faut se méfier de ses camarades !
Mon métier me met tous les jours en contact avec des jeunes de l’âge de ceux qui ont été interrogés dans cette étude. Je sais à quel point l’école peut, avec ses exigences, représenter des difficultés pour eux. Je sais aussi à quel point la camaraderie tient une place importante dans leur vie. Alors, je suis vraiment écoeuré de voir ce journal tenter une nouvelle fois de détruire pour détruire ! Je ne sais pas qui a rédigé ces titres aujourd’hui, mais ce personnage est odieux !
Quand est-ce que les lecteurs décideront enfin de se fâcher afin qu’il ne soit plus possible de leur raconter ainsi n’importe quoi ?
Dani
A noter que cette étude a aussi été mentionnée par d’autres médias qui y ont vu a priori un peu autre chose :
TSR : Violence sexuelle: une étude à contre-courant
RSR.ch : Violence sexuelle: une étude à contre-courant
Swissinfo : Violence sexuelle entre jeunes: les agresseurs souvent des copains
Sur le site Le Matin online – 21 août 2008 : Les affiches de la haine
http://www.lematin.ch/fr/actu/suisse/les-affiches-de-la-haine_9-197750
La réaction à ce qui apparaît sur les pages du site du quotidien romand « Le Matin » a déjà occupé plusieurs fois ce blog. D’abord certains commentaires, puis la recette du cocktail Molotov. Manifestement, les responsables du site semblent en train de prendre conscience des dérives potentielles et les premiers effets du battage réalisé par ce blog et quelques autres deviennent visibles.
Aujourd’hui, j’ai reçu un mail du rédacteur en chef adjoint du Matin, qui a aussi répondu à mon intervention ce matin lors de l’émission radiophonique Medialogues sur RSR 1 à propos des commentaires liés à l’article sur les mendiants Roms (je vais y revenir tout soudain !). Et, surprise, je viens de constater à l’instant que la recette du cocktail Molotov avait enfin été floutée !
<---- (auparavant, on pouvait agrandir cette image et lire très facilement la « recette »)
Cela faisait en effet quelques temps qu’elle aurait pu être supprimée… Petit rappel chronologique :
15 juillet 2008 (à 22h24) : Publication de l’article « les affiches de la haine » sur le site du Matin.
16 juillet 2008 (à 11h04) : Un commentaire signale : « Les terroristes en herbe remercieront le matin pour la recette de bombinette qui figure en photo. Ce la leur évitera de perdre des heures à la chercher sur internet. »
16 juillet 2008 (à 11h20) : Autre commentaire : « Je ne suis pas certains que publier la recette du cocktail Molotov (sur la vignette) soient vraiment une bonne idee. »
16 juillet 2008 (à 13h58) : Encore : « Avec un peu chance vous allez bientôt pouvoir écrire un nouvel article « Ado gravement brûlé en voulant confectionner un Cocktail Molotov ». Je me demande si ce n’est pas le Matin qu’il faudrait condamner pour incitation à la bêtise. »
Manifestement, si comme j’ai pu l’entendre sur RSR 1, chaque commentaire est dûment lu et modéré, on peut se demander comment ces trois-ci ont été ignorés. Suite :
29 juillet 2008 : Article sur ce blog, « La recette du cocktail Molotov est toujours sur le site du Matin ».
6 août 2008 : Dans un mail, je signale au médiateur d’Edipresse la présence de la recette du cocktail Molotov. Il me répond le lendemain sur la question principale de mon mail (les fameux commentaires) et m’informe qu’il ne parlera pas de la recette sur son blog.
11 août 2008 : Le médiateur m’informe qu’il interviendra auprès du Matin à propos de la recette du cocktail Molotov.
Et finalement, je découvre aujourd’hui qu’elle a disparu. Il a fallu un peu de ténacité et j’en déduis que ma question n’a pas été jugée inopportune s’ils ont finalement décidé de la rendre illisible… Cela aurait donc très bien pu être fait déjà lors des premières interventions des lecteurs du site !
Cela dit, je finirai sur une note positive : il semble que la rédaction du Matin soit en train de prendre conscience des enjeux liés à certaines publications sur son site. Si cela pouvait inciter les rédacteurs à remettre aussi en question certaines dérives récentes de ce quotidien, ce serait merveilleux…
Dani