Piques et répliques – 2

Quelques réflexions critiques sur tout et rien

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Archive pour le 11 août, 2008


Comprendre le conflit géorgien grâce au téléjournal ?

11 août, 2008
Télévision | 1 réponse »

Editions de 19h30 du téléjournal de la TSR, du 8 au 10 août 2008

http://www.tsr.ch/tsr/index.html?siteSect=500000&channel=info#program=15;vid=9473415

 

Le conflit en Géorgie est devenu en quelques jours le sujet majeur du téléjournal. Tout d’abord, il apparaît en milieu d’édition, mais très rapidement il fait l’ouverture. La question qui me préoccupe dans ce genre de situation : qu’est-ce qu’un téléspectateur va ainsi comprendre de ces événements ?

Naturellement, il y a des téléspectateurs « préparés ». Ce sont ceux qui se sont intéressés en détail à la fin de l’Union soviétique et ceux qui s’intéressent généralement aux conflits dans le monde, notamment quand il s’agit des minorités nationales. Quel pourcentage de ceux qui regardent la télévision ceux-ci représentent-ils ? Probablement assez peu de monde. En effet, pour de nombreuses personnes, il n’est déjà pas très évident de ne pas confondre la Slovaquie et la Slovénie, ou de situer correctement la Macédoine ou la Moldavie. Et là, avec le Caucase, on s’éloigne encore un peu…

Je vais donc tenter de me mettre à la place d’un spectateur qui découvre ce conflit, et aussi cette région du monde, sans avoir auparavant pu fixer clairement les éléments en jeu. Voyons donc.

C’est le 8 août qu’apparaît le premier « sujet »; il dure en tout 1 minute et 55 secondes ! La première phrase du présentateur annonce qu’il y aurait des centaines de morts, en précisant « selon le président des Ossètes ». Manifestement, le nombre de morts justifie l’importance du sujet. Quoi d’autre ? Une carte apparaît pendant à peine plus de deux secondes et montre en plongée où se trouve la Géorgie puis affiche une carte du pays permettant d’isoler par une couleur différente les provinces séparatistes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud. Pour celui qui connaît la géographie de la région, cela peut à la rigueur suffire, mais pour les autres…

Les informations données se succèdent à un rythme effréné : situation des civils, province séparatiste d’Ossétie du Sud, les morts, le chef-lieu en partie détruit, des escarmouches depuis une semaine, une province de 70’000 habitants, l’offensive des géorgiens jusqu’à ce chef-lieu, les accusations du président géorgien, une agression russe préalable démentie par Moscou, les forces de paix russes stationnées en Ossétie, la dénonciation par Vladimir Poutine de la violation de la trève olympique, des troupes russes qui ont franchi la frontière internationale et qui sont arrivées dans la capitale ossète, les troupes abkhazes qui font mouvement… Ouf ! C’est dingue… Est-ce qu’on peut suivre ce rythme si on n’est pas préalablement au courant de la situation géorgienne ? Ce déluge verbal finit par « c’est tout le Caucase qui risque de s’embraser » afin de préparer l’angoisse des épisodes suivant.

Les images vont-elles soutenir la compréhension des événements ? Apparemment pas : ce sont avant tout des véhicules militaires (chars, camions, hélicoptères, aviation, canons) et des militaires en action qui servent de support. On voit aussi des gens en train de fuir, de nombreux cadavres, des tirs de nuit lumineux … Toutes ces images auraient très bien pu être tournées il y a deux semaines, elles ne seraient pas différentes. D’ailleurs, quand ont-elles été tournées, au fait ? Les seules images « utiles » en définitive, ceux sont celles de Vladimir Poutine et de Mikheil Saakachvili, le président géorgien : elles permettent de reconnaître ces deux personnalités.

Aucun doute, le sujet du premier jour a permis de « saisir » les spectateurs, de leur montrer des militaires et éventuellement de leur faire un peu peur. La suite : le lendemain, la situation en Géorgie devient l’objet principal du téléjournal qui y consacre deux sujets. Un d’actualité et un autre qui revient sur les événements ayant conduit au conflit. On attend des explications.

Le premier sujet sera conforme à celui de la veille : beaucoup de cadavres, beaucoup de militaires, des ruines et des incendies. La première image montre d’ailleurs un homme en train de tenir un blessé/un mort et de hurler et la caméra s’attarde à deux reprises sur les cadavres. Les informations sont les mêmes, en résumé, que celles de la veille, et on y ajoute le cas de l’Abkhazie dont un ministre est rapidement interviewé. Le tour en 1 minute et 54 secondes.
Le deuxième sujet a donc pour tâche d’éclairer le citoyen-téléspectateur. Rapidement, la présentatrice nous glisse qu’il n’y a pas que des enjeux nationalistes locaux, mais bien des enjeux « géostratégiques liés à l’acheminement du pétrole ». La vue sur la carte est cette fois-ci un peu plus lente et dure une dizaine de secondes. On y a ajouté le territoire de l’Ossétie du Nord (en Russie). Le commentaire explique que l’Ossétie du Sud est un territoire officiellement géorgien, mais tourné vers la Russie et bénéficiant de l’aide économique et militaire de la grande puissance, qu’un premier conflit a eu lieu en 1992 et qu’un cessez-le-feu fragile règne depuis. Il ajoute qu’il s’agit d’un « Etat fantoche » reconnu par personne et que le président géorgien Saakachvili élu en 2003 a promis de « libérer » les territoires Ossètes et Abkhazes de la Géorgie. Vers la fin du sujet, on ajoute que Moscou montre les dents face à un pays lié à l’Occident qui prétend même adhérer à l’OTAN et que le conflit est encore compliqué par le passage d’un oléoduc (qui évite la Russie) à travers la Géorgie. On montre très rapidement le tracé de l’oléoduc sur une petite carte, merci ! Le reportage nous livre son lot de véhicules militaires et de cadavres. En conclusion, le journaliste annonce qu’il s’agit d’une « crise ouverte avec des enjeux qui dépassent les habitants de la mosaïque caucasienne ».

Pas seulement eux ! Le téléspectateur européen aussi… Quelle indigestion ! On a tout : les rapports Occident-Russie, l’OTAN, le pétrole, les nationalismes, la révolution de velours géorgienne… le tout en précisément 1 minutes et 59 secondes. Les téléspectateurs avalent rapidement, comme la vodka. Une interview d’une ancienne ministre géorgienne sera le troisième sujet du jour consacré à ces événements : on retiendra que les géorgiens sont les gentils et les russes les méchants, mais on ne comprendra rien de plus.

Aujourd’hui 10 août, le pays revient à la une. Un premier sujet de 2 minutes et 4 secondes sera globalement conforme aux précédents, mais apportera son lot de nouveautés : délégation internationale, couloir humanitaire, navires russes au large, les gorges de Kodori (zone resté géorgienne de l’Abkhazie) et l’intervention de l’ONU. Un commentaire d’un journalistes sur place suivra (il se tiendra devant un fond bruyant de circulation automobile, vraisemblablement destiné à attester de sa présence sur place) : les troupes géorgiennes ont vraisemblablement quitté l’Ossétie, les russes continuent à tirer, les combats continuent, la Géorgie est acculée et demande un cessez-le-feu et des négociations. On finit avec un sujet sur les géorgiens de Suisse, naturellement très inquiets.

Le sujet « Géorgie » a été présent 3 jours de suite au téléjournal. Une quinzaine de minutes en tout, avec force répétitions et images qui reviennent en boucle. Il aura déjà été difficile de situer et de retenir les noms des régions concernées, sans parler des différents acteurs du conflit, des alliances et des enjeux locaux. Rapidement, on aura fait allusion le deuxième jour aux enjeux pétroliers et géopolitiques qui contribuent à mettre le feu aux poudres. Mais le téléspectateur gardera surtout des images en tête. Trop de choses en trop peu de temps, une description des événements mais très peu d’explications et de mises en contexte. On sait qui se bat contre qui… Mais pourquoi ce conflit aujourd’hui seulement et pas avant ? Pourquoi on se dispute aussi durement un territoire comprenant à peine 70’000 habitants ? Quel rapport avec l’oléoduc mentionné ? Quel est le rôle de la Russie dans cette région et quel est celui des Etats-unis ? Quels sont les fameux « enjeux géostratégiques » ? En quoi l’Europe est-elle concernée ? Etc.

Heureusement, tous les téléspectateurs se seront rapidement rués sur leurs encyclopédies pour situer les pays en cause et comprendre les racines du conflit. Ils auront ensuite complété leur information grâce à des sites d’information sur internet et auront choisi des journaux de qualité pour suivre l’actualité le lendemain des émissions. Certains auront même été jusqu’à trouver des informations de source géorgienne ou russe pour relativiser…

Dani

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