Radio suisse romande 1 – 29 juillet 2008 : La non-appartenance de la Suisse à l’UE l’affaiblit-elle lors de crises diplomatiques ?
Suite à une intervention écrite sur le site de la radio suisse romande estimant que la non-appartenance de la Suisse à l’Union européenne la rendait plus faible sur la scène internationale, la radio publique organise un petit débat (11 minutes en tout) entre deux personnalités : François Chérix, membre du NOMES (Nouveau mouvement européen suisse) et Yves Nydegger, conseiller national de l’UDC. Thème du débat : « La Suisse est-elle plus vulnérable dans les crises avec la Libye et la Colombie du fait qu’elle ne fait pas partie de l’Union européenne ? »
Le débat est présenté comme devant permettre plus de clarté et essayer de tenter de répondre à cette question. Or, comme souvent, le débat va opposer deux conceptions tellement éloignées qu’il ne fera absolument pas progresser la réflexion. C’est d’ailleurs le cas de trop nombreux débats sur des thèmes politiques organisés à la radio ou à la télévision.
En cause, le choix des participants : pour répondre à la question dans le cadre d’un débat, il faudrait inviter des personnes qui pourraient amener des éléments au débat par leur expérience ou leur compétence (je pense à des chercheurs, des anciens ambassadeurs, etc.) plutôt que deux personnes qui ne vont venir que pour « placer » des arguments en vue de futures confrontations. Lorsqu’il s’agit d’un débat précédant une votation, la démarche est légitime, car elle permet aux citoyens de reconnaître les camps en présence.
S’il s’agit comme ici de réfléchir à la situation actuelle de la Suisse, cela tourne au dialogue de sourds et rien n’en sort, ou presque. En soi, la question est pourtant intéressante et il serait possible d’y répondre affirmativement ou négativement indépendamment du fait d’être favorable ou non à l’adhésion. Rien n’empêche en effet d’être favorable ou non à l’UE en reconnaissant des avantages et des inconvénients qui y seraient relatifs. Petit décryptage de ce débat :
Curieusement, la parole est d’abord donnée à un opposant à l’affirmation qui fait l’objet du débat. Logiquement, on se serait plutôt attendu à voir le membre du NOMES poser sa thèse et ensuite son contradicteur tenter d’apporter l’antithèse. S’agit-il d’une volonté polémique ? En tout cas, ce n’est pas favorable à la clarté de la discussion. Yves Nydegger commence donc :
« Tous les sujets, y compris les faits divers, sont utiles en temps de grandes manœuvres pour rappeler inlassablement, mais c’est idéologique, que la Suisse serait de toute façon beaucoup mieux dans l’union européenne qu’indépendante et neutre. «
Et hop ! On démarre comme prévu à côté de la question posée et Yves Nydegger attaque d’emblée son « adversaire ». Manifestement, répondre à la question posée ne lui a même pas effleuré l’esprit. Il qualifie la position adverse d’idéologique, alors que c’est justement lui qui répond idéologiquement plutôt que pragmatiquement. Après cette assertion, il va tout de même tenter un élément de réponse (ouf !) :
A propos de la crise avec la Colombie (en rapport avec un négociateur suisse), il estime que la Suisse est capable de proposer ses « bons offices » parce que c’est un pays neutre et qu’elle ne serait plus neutre, à terme, si elle entrait dans l’Union européenne, et que donc la question des « bons offices » ne se poserait pas.
Magnifique opération de propagande, vraiment : Tout d’abord, l’Union européenne compte 4 Etats neutres (Irlande, Autriche, Suède, Finlande) et rien ne démontre qu’à terme, ils devront renoncer à l’être. Ensuite, des « bons offices » sont régulièrement proposés avec succès par des Etats non-neutres (la Norvège, par exemple). D’entrée de jeu, le politicien UDC aura donc réussi à « poser » son programme politique et ces deux contrevérités ne seront pas contredites, puisqu’elles ont l’avantage d’être hors-sujet. Vient donc le tour de François Chérix :
A son avis, il n’y aurait « pas d’obstacle majeur » pour proposer des « bons offices ». Et vient donc son tour de tenter de répondre à la question du débat. Lui au moins va répondre à la question : « Un Etat face à un problème sur la scène internationale, son problème devient automatiquement celui de l’union. » Le rapport de force est donc complètement différent.
On peut juste regretter qu’il redise simplement ce que son collègue du NOMES avait écrit sur le site de la RSR : une Suisse dans l’Union serait plus forte face à l’adversité. Le journaliste, se retourne donc face à Yves Nydegger : « Que peut faire la Suisse face à des problèmes comme ça, est-ce qu’on serait pas plus forts (…) ?
La réponse vient sous la forme de la Suisse, petit pays qui ne peut qu’être neutre (il doit manifestement ignorer que la majorité des petits pays ne sont pas neutres…). Puis : « M. Chérix rêve d’une suisse dans l’UE, il rêve aussi d’une union européenne, ce qui fait un rêve au carré. Cherchez une politique commune internationale européenne, vous ne la trouverez pas ! »
L’autre est un rêveur : voici l’essence du débat. Et Yves Nydegger continue :
« Le fond du problème, il est encore autre, la police et la justice genevoise ont peut-être eu la main un peu lourde. Il est pas question que la Suisse s’excuse d’avoir une justice qui fonctionne, c’est-à-dire qui s’en prend aux puissants comme aux faibles, aux riches comme aux pauvres. Par contre, il n’est pas exclu non plus que la proportionnalité n’y ait pas tout à fait été respectée. Deux nuits de garde à vue pour le dépôt d’une plainte, c’est peut-être un peu excessif et si la Suisse s’excusait pour avoir eu la main lourde, on sortirait peut-être de la crise plus facilement ».
La conception de l’indépendance nationale de notre débatteur accepte des nuances, bon à savoir. Mais ce n’est pas juste le dépôt d’une plainte, il faut aussi voir le contenu de la plainte ! Cet aspect ne sera pas relevé.
D’ailleurs, le journaliste commence à remarquer qu’il est un peu mal pris et essaie de revenir au débat : « On ne va pas rentrer trop dans les détails du dossier libyen mais, François Chérix, est-ce que vous avez l’impression que la réaction du colonel Kadhafi aurait été différente dans toute cette crise si on était membre de l’union européenne et comment elle aurait été différente ? » Magnifique, on retrouve la première question; manifestement, on a pas avancé d’un iota.
« Ce qui est parfaitement certain, c’est que la position d’électron libre de la Suisse , au plan géostratégique, dans un monde en train de s’organiser en grands blocs régionaux, est d’une fragilité extrême. »
Le débat n’avance pas et François Chérix, à la même question, ramène la même réponse, qui est en soi une reformulation de ce qui était déjà apparu sur le site de la radio romande.
Puis, il évoque la relative protection des banques des pays européens, face aux Etats-Unis notamment, par le poids de l’UE. Et : « Je trouve la position de M. Nydegger parfaitement romantique et contradictoire. Le bouclier européen, c’est pas rien : 27 Etats qui sont solidaires en termes d’intérêts et en termes de prises de position. »
Retour à l’affirmation de départ et renvoi de l’ascenseur, un romantique pour un rêveur.
Puis, le débat va se perdre dans la question de la diplomatie commune non-existante de l’Union européenne, ce sur quoi les deux débatteurs sont d’ailleurs d’accord, alors que la question n’est pas dans la diplomatie offensive, mais plutôt dans le dispositif défensif. A l’occasion, François Chérix resservira du »rêveur » à Yves Nydegger… La question semble vraiment difficile… et le journaliste relance bien peu opportunément en demandant à Yves Nydegger : « Vous êtes un rêveur romantique ? ».Celui-ci peut donc reprendre :
« Dans le conflit avec la Libye, la Suisse, sur le plan international, représente pas seulement elle-même, ni même l’UE, mais l’Occident. «
Et hop, le député UDC revient avec le conflit des civilisations entre l’Orient et l’Occident, fonds de commerce de son parti. C’est fou quand même toutes les choses qu’on peut aborder dans un débat sur l’Union européenne…
Puis : « Non, il n’y a pas de bouclier ».
Il faudra le croire sur parole. Il nous assurera que croire que les européens feraient bloc serait un « rêve romantique »… Et le débat achèvera de se perdre à nouveau, cette fois-ci au profit du conflit entre l’Orient et l’Occident !
Le journaliste tente alors à nouveau de revenir au thème du jour, en prenant un exemple concret : « Sur la question des banques, si on était membre de l’UE, les Etats-unis n’oseraient pas se comporter de la même façon. Les Etats-unis ne se comportent pas ainsi avec les banques luxembourgeoises. »Et donc Yves Nydegger répond :
« Il faut pousser le raisonnement jusqu’au bout. Si nous étions membres de l’Union européenne, il n’y aurait plus de secret bancaire suisse. »
Et hop, il saisit au rebond l’occasion de placer à nouveau un élément du programme de l’UDC : la défense acharnée du secret bancaire. Mais une fois de plus, il s’essaie à abuser le public. Cette fois-ci, pourtant, il va être repris et on va lui répondre que le secret bancaire existe aussi dans certains Etats de l’UE, notamment au Luxembourg. Mais le conseiller national UDC ne se laisse pas déstabiliser, et :
« mais la Suisse membre de l’UE, c’est la fin un peu plus rapide du secret bancaire, par conséquent on est dans la pure rhétorique ».
Et il en remet une couche. Peut-être qu’il n’a pas vraiment compris…
Le débat finit sur un bref échange d’amabilités, puis le journaliste remercie les deux intervenants. On n’en saura pas plus : François Chérix aura confirmé qu’il est d’accord avec l’hypothèse de départ (à plusieurs reprises) et Yves Nydegger aura profité de son temps de parole pour parler du secret bancaire, du conflit des civilisations ou de la neutralité (il n’a pas réussi à placer les Roms et les réfugiés, dingue !). Un parfait dialogue de sourds… Chacun des deux aura en outre eu l’occasion d’accuser son adversaire d’être un « rêveur ».
Et nous, les auditeurs, nous en sommes pour nos frais et nous n’avons rien appris de nouveau lors de ces 11 minutes. C’est bien dommage, car un débat avec des intervenants venant pour autre chose que défendre leurs futurs suffrages mais apportant des éléments concrets d’appréciation, aurait peut-être permis de mieux comprendre un élément clé de l’actuelle politique extérieure de la Suisse.
Malheureusement, il en va souvent ainsi. A croire que les auditeurs préfèrent un pugilat à un débat de fond. Ou alors c’est la piètre estime dans laquelle les tiennent les journalistes de la radio et de la télévision…
Dani