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Dans les médias en général…
Aujourd’hui, je n’ai pas d’article à brocarder particulièrement et je vais donc proposer quelques lignes sur un phénomène plus général : l’utilisation croissante d’euphémismes pour désigner toute une série de choses dans les médias.
L’euphémisme est une façon de parler ou d’écrire (une figure de style) qui permet d’atténuer ou d’adoucir la réalité lorsqu’elle apparaît déplaisante ou effrayante. En somme, c’est tout le contraire d’une exagération. Lorsqu’on y prête attention au quotidien, cela devient vite très amusant !
Dans la vie courante, il arrive souvent qu’on utilise ce procédé de langage par pudeur ou par prudence. Cela fait partie des codes habituels des relations humaines : imaginez simplement passer une journée à parler franchement à chacun et à dire leurs quatre vérités à toutes les personnes que vous rencontrerez. C’est un truc à ne pas finir la journée ! Il est donc normal que les humains en viennent à adoucir leur propos pour mettre de l’huile dans les rouages de leurs relations.
Les exemples issus de la vie quotidienne sont ainsi nombreux : on dira « relations intimes » pour les relations sexuelles, « sortir avec » pour « coucher avec », « avoir des problèmes avec l’alcool » pour « être alcoolique ». On dira aussi de quelqu’un qu’il est « un peu fort » pour ne pas dire qu’il est gros ! La bonne a été remplacée par la femme de ménage, puis par l’employée de maison. Celui qui est un peu bête se verra qualifié de « gentil »… De même, on a peu à peu remplacé « nègre » par « noir » pour en arriver aujourd’hui à dire « black » sans réaliser que cela veut toujours dire la même chose. Il existe d’ailleurs plusieurs autres possibilités de jouer à cache-cache avec la couleur de la peau : « homme de couleur », « africain »…
Tout cela est sans enjeu particulier tant qu’il s’agit d’une forme de politesse ou de pudeur entre les individus : cela a naturellement toujours existé. Au fond, Obélix rappelle avec justesse en exigeant d’être « un peu enveloppé » qu’il s’agit parfois de simple respect bienveillant. Mais aujourd’hui, le procédé est largement systématisé par les élites et tout particulièrement dans les médias. Ce n’est manifestement plus seulement une mode, mais un code de communication, voire de manipulation, une forme de « novlangue » à la George Orwell. Il a pris, sous l’influence des Etats-unis, le nom de « politiquement correct » (politically correct). Le procédé a ses thèmes de prédilection :
- Voiler la stigmatisation des gens différents : handicapés, étrangers
- Atténuer les choses terribles, comme les horreurs de la guerre
- Cacher les injustices, notamment les inégalités sociales ou les décisions économiques difficiles
– Parler avec une pudeur excessive des sujets jugés difficiles à aborder
Naturellement, il ne faudrait en aucune manière croire que ce sont des mots tout à fait naturels et crus qui se sont tout à coup changés en mots « acceptables socialement ». Au fond, la langue évolue, le sens des mots évolue aussi sans cesse. Il y a juste qu’on donne aujourd’hui un grand coup de pouce à cette évolution.
Plus qu’une longue démonstration, le mieux est finalement de regarder concrètement ce qu’il en est, et je vous propose donc mon petit lexique (classé par techniques d’atténuation) :
On peut tout simplement supprimer le mot gênant (en faisant parfois un détour) :
Vieux = Personne du troisième âge (après être passées par « personnes âgées »)
Prostituée = Travailleuse du sexe Invalide ou impotent = Handicapé, mais plus récemment aussi « Personne à mobilité réduite »
Bombardement = Frappe aérienne (et frappe chirurgicale quand on veut vraiment rassurer)
Licenciements = Plan social ou restructuration
Privatisation (partielle ) = Ouverture du capital
Chômeurs = Demandeurs d’emploi
Pauvres = Défavorisés
Arts primitifs = Arts premiers
Gitans = Gens du voyage
Banlieues = Quartiers sensibles ou même tout simplement « quartiers »
Massacres = Nettoyage ethnique
Grève = Mouvement social Misère = Exclusion
Noir (ou nègre) = Personne de couleur
Viol collectif = Tournante
On peut aussi reformulation par la voie négative :
Aveugle = Non-voyant
Echecs = Insuccès ou contre-performances
Clochards = Sans-abri (ou sans domicile fixe, bien sûr)
Clandestin = Sans-papiers
Vandalisme ou agressions (selon les cas) = Incivilités
On peut encore utiliser une autre langue (surtout l’anglais) :
Vieux = senior
Noir = black
Et remplacer le mot dérangeant par l’utilisation d’abréviations :
Vagabonds = S.D.F. (Sans domicile fixe)
Avortement = I.V.G. (Interruption volontaire de grossesse)
Maladie vénérienne = M.S.T. (Maladie sexuellement transmissible)
Et il existe bien sûr encore d’autres manières de reformuler avantageusement :
Extrême-droite = Droite dure
Extrême-gauche = Gauche de la gauche
Victimes civiles = Victime collatérales (ou même dommages collatéraux)
Travail à la chaîne = Organisation en lignes de production
Revues pornographiques (dans les kiosques)= Presse de charme ou presse masculine !
Surveillants, gardiens = Agents de sécurité
Caissière = Hôtesse de caisse
Nettoyeurs = Agents d’entretien
On remarque avec les derniers exemples les tentatives de revalorisation des professions par les mots, à défaut de revaloriser par le salaire. Je ne résiste donc pas à vous proposer ci-dessous des noms de métiers retenus par l’OFFT (Office fédéral de la formation professionnelle et de la technologie : liste complète ici) pour déterminer les qualifications des apprentis (et je vous laisse deviner le nom d’origine) :
Agent du mouvement ferroviaire,Assistant de l’industrie textile, Assistant du commerce de détail, Assistant en information documentaire, Assistante socio-éducative accompagnement des enfants, Gestionnaire du commerce de détail, Gestionnaire en logistique, Opérateur de médias imprimés, Projeteur en technique du bâtiment, Spécialiste en hôtellerie, Technologue en denrées alimentaires,…
Que faire ? Est-il possible de contrer la désinformation qu’apporte parfois l’usage des termes….. ou vaut-il mieux en rire ?
Dani
» Le but du novlangue était non seulement de fournir un mode d’expression aux idées générales et aux habitudes mentales des dévots de l’angsoc, mais de rendre impossible tout autre mode de pensée. Il était entendu que lorsque le novlangue serait une fois pour toute adopté, et que l’ancilangue serait oubliée, une idée hérétique –c’est à dire une idée s’écartant des principes de l’angsoc- serait littéralement impensable, du moins dans la mesure où la pensée dépend des mots. » George ORWELL – 1984
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26 octobre, 2010 à 0:50
Merci pour ce billet. J’ajouterai que les « filles de salle » sont devenues il y a plus de trente ans (quand exactement, je ne le sais pas) des « agents hospitaliers ». C’est plus agréable quand même, pour ceux qui font ce travail, que de se voir traiter de « vida poto » comme on le faisait à Nice, à l’occasion…