Documentation de la Télévision alémanique SF1 (Jörg Zumstein) présenté le 4 mai 2008 par la Télévision suisse romande
Visible sur : http://www.tsr.ch/tsr/index.html?siteSect=342401&sid=8958035
Remarque : j’ai pris la peine de visionnner une partie du documentaire dans sa version originale en allemand. A mon sens, il est bien traduit en français et je me contenterai donc de la version française ici.
Voici enfin pour le public romand le documentaire qui a servi de détonateur aux ultimatums à Evelyn Widmer-Schlumpf, pour démissionner du conseil fédéral et de son parti UDC, ainsi qu’à l’UDC du canton des Grisons pour qu’elle exclue la nouvelle conseillère fédérale. En effet, l’élection du 12 décembre elle-même n’avait pas mis pareillement le feu aux poudres et ce n’est qu’après le documentaire télévisé que l’opération s’est mise en route.
Dans son ensemble, ce documentaire montre assez bien comment se passe ou ne se passe pas une élection au conseil fédéral. Tous les 4 ans, il y a tractations, secrets, accords, alliances, etc. Cette année a été toutefois un peu plus spéciale, car le résultat a été la non-réélection d’un conseiller fédéral, chose fort rare. On y avait déjà assisté en 2003, avec Ruth Metzler dont le parti avait perdu des électeurs. Cette fois-ci, la non-réélection a eu lieu malgré le bon résultat de l’UDC….. Voilà pour la nouveauté ! Par contre, ne pas élire le candidat présenté officiellement par un parti, voilà qui est plus courant : les socialistes Lilian Uchtenhagen et Christiane Brunner, notamment, avaient déjà subi cette déception. Quant au « secret », tant reproché, on s’étonne que des politiciens soient heurtés. Quiconque a fait un tant soit peu de politique sait que le secret est un ingrédient essentiel… Complot, plan secret, opération secrète…. Pas de doute, ce documentaire montre donc de la politique, de la simple politique (opération Scipion après l’opération Hannibal de 2003), rien de plus…. ou presque !
Presque ? Parce que, tout de même, certaines scènes appellent à un peu de recul :
Le documentaire commence en affirmant que les pertes électorales du PS ont été « la cause » du plan secret. C’est difficile à croire : des livres ont été publié (F. Chérix, A. Gross, etc.) avant les élections fédérales pour plaider la non-réélection, de nombreuses interventions dans les journaux aussi. Les socialistes n’ont manifestement pas attendu de perdre des électeurs…..c’était leur but depuis bien longtemps.
Plus tard, Ueli Maurer mentionne son téléphone de mardi soir (veille de l’élection) avec Mme Widme-Schlumpf et dit qu’elle assure ne pas pouvoir fonctionner sans groupe parlementaire. Puis, Ursula Wyss (PS) répond, à la question « Saviez-vous que Ueli Maurer et Evelyn Widmer-Schlumpf s’étaient parlés au téléphone ? » : « Possible que je l’aie su ! » Et là, le journaliste enchaîne en interrogeant M. Maurer : « Savez-vous que les socialistes étaient au courant de votre téléphone avec Mme Widmer-Schlumpf ? » Voici l’exemple type d’un question orientée. Fondamentalement, s’il se base sur la non-réponse de Mme Wyss, comment l’interviewer peut-il affirmer ainsi, à travers une question, qu’elle était au courant ? Dès lors, Ueli Maurer, en répondant non, accepte la question telle quelle. Personne ne remet en doute le fait que les socialistes auraient été mis au courant d’un téléphone entre leaders de l’UDC. Etonnant, non ? Personne ne peut l’affirmer, sauf le journaliste à l’intérieur de sa question, mais personne ne remet rien en question. On est loin de l’objectivité, bien loin.
Dans la suite du documentaire, on aperçoit, dans la pénombre les leaders des Verts, du PDC et du PS. Le commentaire précise « à minuit » (l’heure du crime ?), « comme des conspirateurs ». Le tournage « en sombre » et les mots suffisent à accréditer la scène. Rien de clair, tout en sous-entendu…
Ueli Maurer, à propos du mercredi matin de l’élection du conseil fédéral et d’un contact avec Mme Widmer-Schlumpf : « Je lui ai dit que la situation avait changé pendant la nuit et qu’elle devait s’attendre à être élue ». Tiens, d’où le sait-il ? On ne lui pose même pas la question de savoir ce qui a changé et il peut même redire qu’elle prétend alors qu’elle n’accepterait pas l’élection. Il faut le croire sur parole… Et dans la salle des pas perdus, on se rend tout de même compte que le nom de Widmer-Schlumpf est articulé face aux journalistes, notamment par Luc Recordon : difficile de croire à la totale surprise dans ces conditions. Ces mêmes journalistes ayant évidemment très rapidement évoqué la question avec les UDC présents.
Dernière scène à citer : celle tu téléphone, qui se passerait au moment du 2ème tour de scrutin de l’élection. Ici, il faut bien suivre la succession des séquences. Tout d’abord Ueli Maurer en train de dire qu’il a vainement essayé d’atteindre la conseillère d’Etat grisonne, puis la scène dans le train qui montre Mme Widmer-Schlumpf tendre son téléphone à sa collègue grisonne sans y répondre, puis à nouveau M. Maurer en train de dire qu’il n’a pas pu parler à Mme Widmer-Schlumpf, puis enfin une image de la nouvelle élue sans réaction au moment de l’annonce du résultat. Etant donné qu’il a été depuis avéré, grâce à des écoutes attentives des dialogues, que c’était une autre personne qu’Ueli Maurer qui appelait, cette succession devient louche, comme construite à dessein. On laisse ouvertement supposer que la future conseillère fédérale « évite » son président de parti… On ne le dit pas, puisqu’on ne pourrait pas l’affirmer, mais on le sous-entend.
Au fond, ce documentaire est-il carrément mauvais ? Non, probablement pas, mais il contient quelques scènes qui, dans un esprit documentaire, auraient dû être supprimées ou complétées plus explicitement. Il joue sur les silences, les non-dits, les sous-entendus, la succession de scènes « juste dans le bon ordre ». pour soutenir la thèse du complot. Pourquoi ne pas laisser d’un bloc les interviews plutôt que de jouer à les intercaler habilement ? Il suffirait de peu pour en faire un documentaire acceptable et non un soutien explicite aux manoeuvres de l’UDC contre « sa » conseillère fédérale. Il faudrait pour cela être plus explicite, plus clair, y compris, par exemple, en se demandant pourquoi Mme Widmer-Schlumpf était filmée ce matin-là dans le train !!!
Personnellement, je me demande s’il n’y avait pas plus de gens au courant que ceux qui veulent bien l’admettre, notamment à l’UDC…
Au fond, la Suisse est un pays « sans chef ». Nous avons d’ailleurs le seul régime politique au monde qui fonctionne sans « chef de gouvernement » et avec un « chef d’Etat uniquement représentatif » et élu pour un mandat très court d’une année. C’est sans doute là qu’il faut rechercher les causes de toute cette affaire. Il y avait là un conseiller fédéral insatiable, qui prenait des libertés avec la constitution ou la séparation des pouvoirs, qui ne respectait pas les règles politiques habituelles, qui voulait accaparer le pouvoir. Alors, le parlement responsable de l’élection a simplement joué son rôle de contrôle et d’élection de l’exécutif. Le fin mot de l’histoire revient au fond à Ueli Maurer, à la fin du documentaire : « C’est moins Evelyne Widmer-Schlumpf qui a été élue que Christoph Blocher qui n’a pas été réélu ». Tout simplement.
Dani