Aujourd’hui, je relève une information qui n’émane pas des journaux eux-mêmes, mais qui se retrouve souvent dans les « pages payantes », sous forme d’annonce…. Elle sera vue plus souvent que les articles.
A cet égard, je me souviens avec émotion de mon premier prof de statistique qui disait : « La statistique est la forme moderne du mensonge ! ». Boutade amusante.
Et pourtant, les statisticiens ne sont aucunement des menteurs. C’est un métier respectable comme tous les autres métiers. Les employés de l’Office fédéral de la statistique font un travail remarquable et donnent une information complète et détaillée. Malheureusement, cette avalanche de tableaux, de colonnes chiffrées et de graphiques est souvent particulièrement indigeste et difficile à affronter pour une grande partie de la population qui a gardé un mauvais souvenir des cours de mathématiques.
C’est pourquoi les communicateurs s’emparent alors de quelques chiffres qu’ils mettent en valeur. Mais eux ont généralement moins de scrupules que les statisticiens officiels. Ils travaillent pour des journaux, mais aussi pour des associations, des lobbys et des partis politiques. Sont-ils des menteurs ? Tout de même pas, mais disons qu’ils savent extraire juste les bons chiffres et les présenter de manière opportune. Parmi ces communicateurs, ceux de l’UDC sont particulièrement roublards. Voyez plutôt :
Ces chiffres sont-ils faux ? NON
Sont-ils présentés particulièrement habilement : OUI
L’année de départ, 1991, est particulièrement bien choisie. C’est celle qui a connu le moins de naturalisations. D’ailleurs, ces naturalisations vont par vagues et suivent avec un peu plus de retard les vagues d’immigration (la durée de résidence exigée est de 12 ans pour la naturalisation ordinaire et de 5 ans pour la naturalisation facilitée en cas de mariage). De plus, la double-nationalité n’a été autorisée qu’en 1992 et les frais de naturalisations ont diminué récemment. Logiquement, les naturalisations sont donc particulièrement importantes ces dernières années. Il ne serait pas étonnant de voir les chiffres à nouveau baisser à l’avenir, comme cela a été le cas dans le passé.
Pour s’en rendre compte, voici l’évolution du nombre de naturalisations vue par l’Office fédéral de la Statistique :
Et voici maitenant l’évolution de l’immigration en Suisse (OFS) :
Autant citer directement l’Office fédéral de la statistique :
« Les changements de la loi sur l’acquisition de la nationalité suisse ont essentiellement influencé le nombre annuel d’acquisitions de la nationalité suisse. L’augmentation des naturalisations, lors de ces dernières années, est essentiellement due à une proportion grandissante d’étrangers vivant depuis longtemps en Suisse, ayant grandi dans notre pays ou s’étant marié à un citoyen suisse. Entre 1992 et 2006, le nombre de personnes ayant obtenu un passeport suisse a triplé. Pourtant, seuls 3 étrangers vivant en Suisse sur 100 ont reçu la nationalité suisse, ce qui représente un petit pourcentage par rapport aux autres pays. »
Mais ce n’est pas tout : l’UDC s’échine aussi à montrer, sur son site cette fois-ci, que le nombre d’étrangers qui résident en Suisse est absolument énorme. Voici le graphique présenté :
Le graphique en question a disparu du site de l’UDC (sur lequel dirigeait mon lien) depuis la rédaction de mon article. En gros, il s’efforçait de montrer qu’il y a plus d’étrangers, nettement plus, en Suisse que dans les pays voisins. De l’ordre de plus de 20 % en Suisse, contre moins de 10 % en France par exemple. J’ai retrouvé la miniature :
Les chiffres sont-ils faux ? NON
Y a-t-il matière à discussion ? OUI, largement.
Pourquoi la Suisse affiche-t-elle un nombre aussi important d’étrangers dans ses statistiques ? Plusieurs éléments :
- Il est plus difficile d’obtenir la naturalisation en Suisse que dans la plupart des pays voisins (j’ai comparé avec l’Italie, la France, l’Allemagne, la Belgique, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, l’Espagne) : 12 ans de résidence sont exigés, auxquels peuvent venir s’ajouter des exigences communales, alors que la France exige par exemple seulement 5 ans de résidence. Sans compter les refus.
- Le droit du sol n’existe pas du tout en Suisse, contrairement là aussi à la France. Bien des enfants d’immigrés en France sont automatiquement français à 18 ans s’ils sont nés sur le territoire français (pratique existant aussi en Belgique et aux Pays-Bas), ce qui n’est pas le cas chez nous. A noter que l’Allemagne a introduit le droit du sol pour les enfants de la 2ème génération.
En somme, de nombreux « étrangers » seraient tout simplement suisses si on appliquait les mêmes critères que certains pays voisins. En témoignent les chiffres suivants de l’OFS :
Plus des deux tiers des étrangers seraient suisses en appliquant les lois françaises, par exemple. Ceci nous mettrait à une plus juste place dans cette statistique comparative. Si on compare le nombre de personnes nées à l’étranger, les chiffres français et suisses sont du même ordre de grandeur…
La définition du mot « ETRANGER » n’est pas la même dans tous les pays. Ici, comparaison n’est pas raison !
Or, l’UDC estime, à l’aide des statistiques qu’elle présente, que les naturalisations sont trop nombreuses. Elle préfère d’ailleurs calculer les naturalisations en pourcentage des habitants plutôt qu’en pourcentage des étrangers susceptibles d’être naturalisés.
Ici encore, je me propose de citer directement l’Office fédéral de la Statistique :
Toutefois, le taux brut de naturalisation suisse reste relativement faible (3,1%) en comparaison européenne. On estime à 849’300 le nombre d’étrangers qui pourraient se faire naturaliser aujourd’hui. Seraient concernés 81,0% des Italiens, 79,3% des Espagnols, 75,6% des Slovènes, 71,3% des Croates, 67,5% des Grecs et les deux cinquièmes des Allemands et des Français séjournant dans notre pays à long terme. L’appartenance à un pays de l’UE, l’interdiction de la double nationalité par le pays d’origine et les conditions parfois sévères à remplir dissuadent bon nombre d’étrangers de déposer une demande dans une commune suisse.
Si on compare les naturalisations en pourcentages du nombre d’étrangers, et non en fonction de la population totale, on obtient les chiffres suivants :
Suisse : 2, 6%
Suède : 8.2%
Royaume-uni : 5.7 %
Pays-Bas : 4.1%
Autriche : 4.4 %
Belgique : 3.5 %
Espagne : 2.2 %
(Chiffres de l’OCDE)
Voilà qui est nettement moins impressionnant. La Suisse a plus de résidents ne bénéficiant pas du passeport suisse. Donc, si on calcule les naturalisations en % des « naturalisables », on se rend compte à quel point peu d’entre eux le sont chaque année.
Naturellement, on peut discuter des conditions à satisfaire pour obtenir la nationalité suisse. C’est une question politique légitime et rien n’obligerait la Suisse à s’inspirer des législations des pays voisins. Il n’empêche qu’il faudrait au moins avoir l’honnêteté de reconnaître ces différences de pratique et ne pas utiliser les chiffres au-delà de ce qu’ils peuvent démontrer.
Que conclure de tout cela. Aucun chiffre présenté par l’UDC n’est littéralement faux. Par contre, les chiffres sont bien choisis afin de venir soutenir la thèse proposée : il y a trop d’étrangers et il ne faut surtout pas les naturaliser.
Bien sûr. Parce que si on les naturalise (je pense ici en particulier aux deux tiers d’entre eux qui sont ici depuis leur naissance ou depuis 15 ans et plus), ce seront alors des suisses. Dès lors, leurs enfants aussi seront suisses et la belle statistique qui montre que la Suisse est envahie sera de plus en plus fausse. Et cela changerait complètement les perspectives.
Mais, au fond, qu’est-ce qu’un « étranger » ?
- Un résident américain, ne parlant que l’anglais, mais dont le père est suisse ?
ou
- Un résident espagnol, établi en Suisse depuis sa naissance et parlant le français avec l’accent vaudois ?
A méditer…
Dani