Le Matin – vendredi 30 mai 2008 Editorial : Libre circulation des mendiants ?
http://www.lematin.ch/fr/actu/suisse/des-roms-toujours-plus-violents_9-165968
Dans un numéro dont la première page annonce que « la police craint un afflux de Roms » et dont la double page consacrée au sujet complète avec « Des Roms toujours plus violents » (pages 2 et 3), le journal orange joue son rôle habituel d’épouvantail. Il s’est depuis des années fait une spécialité d’agiter toutes les peurs possibles afin d’effrayer la population, de fournir des électeurs au parti de la peur et bien sûr d’engranger des bénéfices sonnants et trébuchants grâce aux mains tremblantes qui s’emparent fébrilement du journal.
Aujourd’hui, le rédacteur en chef Peter Rothenbühler s’intéresse à la « libre circulation des mendiants ». Dans son éditorial, il accuse le parlement d’infantiliser le peuple suisse par son hésitation entre deux manières de faire accepter la reconduction de l’accord bilatéral sur la libre circulation des personnes ainsi que son extension à la Roumanie et à la Bulgarie (en présentant les deux sujets ensemble ou séparément). Jusque-là, rien d’anormal, tant cette question agite le microcosme politique. On ne doit donc pas s’étonner que des éditorialistes prennent position et que l’un d’entre eux recommande au gouvernement d’éviter de donner l’impression de vouloir « faire passer la pilule amère à tout prix ». Il est ici dans son rôle.
Mais là où le rédacteur dérape, c’est lorsqu’il laisse entendre par son texte que la question de l’extension de l’accord est liée avec l’afflux des mendiants venus de Roumanie, qui, précise-t-il se disputent à « couteaux tirés sur les meilleures places et les trottoirs » (Tremblez, citoyens !). Sans nuancer aucunement son propos, il associe le contrôle de populations clandestines nomades avec celui des candidats à un poste de travail venus de l’Union européenne grâce aux bilatérales (dont il n’évoque absolument pas les réelles dispositions). En effet, ces accords ne concernent en aucune manière le contrôle douanier ou policier des Roms (confié aux Accords de Schengen déjà acceptés par la Suisse), mais uniquement l’installation de travailleurs immigrés conditionnée à l’obtention d’une place de travail. En clair, Rothenbühler confond allègrement le mendiant roumain avec l’infirmière roumaine engagée au CHUV bien que leurs sorts soient réglés par des accords différents.
La question européenne est particulièrement complexe et les citoyens suisses (comme ceux de l’Union européenne d’ailleurs) ont déjà souvent bien du mal à s’y retrouver. A cet égard, l’éditorial sème donc ouvertement la confusion, et ceci aux côtés d’un article qui « met le paquet » sur la peur des Roms, ces populations déshéritées qui tentent désespérément leur chance en mendiant dans des pays plus riches que le leur. Le jeu de Rothenbühler est vraiment trouble et très ambigu. On en vient à se demander pour qui il roule réellement…
Dani
Site internet Swissinfo – 30 mai 2008 : Nicolas Hayek veut lancer une voiture propre
Swissinfo est un site d’informations qui a trouvé sa place dans les médias suisses. D’ailleurs, ses informations sont reprises par d’autres médias. Aujourd’hui, toutefois, il semblerait que les rédacteurs du site se soient mis à croire aux miracles…
Reprenant l’essentiel d’une dépêche de l’ATS, l’article s’enthousiasme : « Il s’agit de mettre au point un système de propulsion qui n’émet pas de substance nuisible » pour faire rouler un véhicule commercialisable. Il s’agit d’un projet de « voiture verte » du fondateur de Swatch, Nicolas Hayek. Et celui-ci est tout simplement devenu un faiseur de prodiges, puisque « la vapeur est le seul «déchet» produit » (l’article précise que dans les piles à combustible, hydrogène et oxygène réagissent et se combinent sur une membrane pour former de l’eau).
Merveilleux, n’est-ce pas ? C’est extraordinaire, l’hydrogène… Il y en a plein partout, dans l’eau (H2O) et cela ne pollue pas tout en permettant de propulser des voitures. Dire que certains en sont encore au pétrole ! Ce qui est à mon avis le plus extraordinaire, c’est surtout qu’on puisse publier sans ciller un article aussi simpliste que de nombreuses personnes liront avant d’aller chanter partout qu’il n’y a aucun souci à se faire puisqu’on va tous très bientôt rouler à l’hydrogène…
Swissinfo est souvent un site sérieux et propose des dossiers intéressants. Mais là, c’est carrément mauvais. Comment peut-on affirmer qu’il s’agit d’une solution écologique sans se demander d’où proviendra l’hydrogène en question. Celui-ci ne se ramasse pas à la pelle dans la nature, dont il est presque totalement absent à l’état naturel. Il va falloir le produire, en le séparant de l’oxygène, ce qui nécessitera d’énormes quantités d’énergie. Comme l’électricité, l’hydrogène n’est pas une énergie primaire, mais simplement un vecteur, une forme secondaire d’énergie fabriquée à partir d’une source primaire. Il faut donc recourir à une autre source d’énergie, consommer et éventuellement polluer pour le produire. Aujourd’hui, on recourt fréquemment à la combustion d’énergies fossiles (pétrole ou gaz) pour produire de l’hydrogène. Et ne parlons même pas des quantités de platine (très cher !) nécessaires à la production des piles à combustibles… !
Bref, cet article est vraiment trop incomplet. D’autres médias se sont au moins donnés la peine de faire allusion aux moyens imaginés par Nicolas Hayek pour produire son carburant, mais sans toutefois réellement évaluer la question. Alors que nous sommes aujourd’hui entrés de plain-pied dans le débat public sur l’avenir énergétique, on peut attendre des organes d’information qu’ils ne cèdent pas à un enthousiasme béat aussi facilement. La recherche et les tentatives d’utilisations d’alternatives comme celles-ci sont utiles et intéressantes, mais il s’agit d’en montrer aussi les limites et les difficultés d’utilisation.
Bref, quel sera le prochain thème de Swissinfo : le mouvement perpétuel, la pierre philosophale ?
Dani
Télévision suisse romande – Téléjournal 19:30 du 27 mai 2008
La télévision suisse romande est-elle en train de reprendre la rengaine de l’UDC quant aux relations avec l’Union européenne ? Dans la bouche de la présentatrice du jour, Esther Mamarbachi, on a vraiment l’impression que la conseillère fédérale Evelyn Widmer-Schlumpf a été accueillie par un concert de casseroles à Bruxelles.
Voici les termes entendus lors du journal du soir : « L’accueil n’a pas franchement été très cordial », « Bruxelles menace la Suisse de sanctions si le peuple n’accepte pas l’extension de la libre circulation des personnes à la Roumanie et à la Bulgarie », « douche froide ce midi pour Evelyn Widmer-Schlumpf » et finalement « en guise de félicitations, la conseillère fédérale a eu droit à un avertissement ». Et tout ça en 2 minutes et 7 secondes… Décidément, qu’est-ce qu’ils sont fâchés, et méchants, ces européens !!!
Finalement, c’est notre ministre, au micro, qui reprend plus un peu plus posément et relativise les choses : « Je ne le prends pas comme une menace, mais comme le rappel d’un fait ». Plus sérieusement, de quoi s’agit-il ? La représentante du gouvernement suisse se rend à Bruxelles pour signer un protocole d’accord avec l’Union pour l’extension de l’accord de libre circulation à la Roumanie et à la Bulgarie, ceci à la veille des débats au parlement suisse sur cette question et sur celle de la prolongation de l’accord entré en vigueur en 2002.
En somme, la Suisse a conclu un « contrat » avec l’Union européenne en 1999 (les 7 accords bilatéraux). Ces accords entrent en vigueur en 2002 et doivent être explicitement prolongés en 2009, sur la demande de la Suisse elle-même qui s’estime plus en sécurité en prévoyant de remettre l’ouvrage sur le métier après 7 ans. Cette condition est acceptée par les européens à condition que les 7 accords soient liés et que la non-reconduction d’un seul (la libre circulation) entraîne la rupture des 6 autres aussi (la fameuse clause guillotine). Tout est dans le contrat de départ et les Suisses le savent très bien. D’autre part, il s’agit d’un contrat bilatéral, donc on considère qu’il y a deux partenaires. Et, bien évidemment, nous savons très bien à l’époque que l’Union européenne allait s’étendre en Europe de l’est !
Aujourd’hui, l’Union européenne demande en définitive que les engagements soient tenus, tout simplement. Si l’accord de libre circulation n’est pas reconduit, l’Union actionnera la clause guillotine. C’était prévu et il ne s’agit donc nullement de « sanctions ».
Si les extensions de l’Union ne sont pas acceptées en matière de libre circulation par la Suisse, là aussi les accords bilatéraux seront remis en question. Ce deuxième point est peut-être moins clair (il faudrait bien connaître le texte des accords pour en juger), mais on peut très bien comprendre la position de l’Union. On peut aussi très bien admettre que la Suisse fasse valoir que les deux derniers pays entraînent des difficultés particulières et souhaite négocier des délais ou des dispositions spéciales. Tout cela est normal et habituel. Les diplomates le savent, s’efforcent de rechercher des solutions et les deux partenaires défendent le plus banalement du monde leurs intérêts.
Il n’y a donc pas lieu de parler de « menaces », ni de dramatiser en reprenant le refrain de l’oppression européenne sur la Suisse. Est-ce que la TSR prévoit aussi de parler des « baillis de Bruxelles » et de « l’étranglement de la Suisse », comme l’UDC ? Ne serait-il pas possible d’informer les citoyens plus objectivement sans vouloir attribuer ainsi des rôles de gentils et de méchants ? Les téléspectateurs savent pourtant bien que les relations entre la Suisse et l’UE n’ont pas été scénarisées par Walt Disney…
Dani
Annonce d’une demi-page parue dans les quotidiens au nom de S.I.F.A.
Lors des votations populaires, la réflexion tout en nuance cède le pas au choix binaire imposé par la logique du OUI et du NON. On a ainsi pris depuis longtemps l’habitude des slogans simplistes à courte vue qui s’affichent sur nos murs et prennent de la place dans nos journaux. Tous les arguments paraissent bons pour attirer l’attention et pour mobiliser les partisans. C’est regrettable pour la qualité du débat démocratique, mais c’est ainsi.
Sur les affiches politiques, il est généralement difficile de faire figurer plus qu’une phrase lapidaire. Il est donc entendu qu’il s’agit là d’une sorte de « slogan crié » et on peut espérer que personne ne s’en contentera pour se faire une opinion. Dans les annonces qui paraissent dans les journaux, et qui sont répétées à satiété par les partis et les lobbys qui ont le plus de moyens financiers, il devient possible de mener une forme d’argumentation, même si elle reste souvent très primaire et simpliste.
(L’annonce parue dans les quotidiens en allemand, je ne l’ai pas encore trouvée sur le net en français)
Ces derniers jours, les limites de la décence sont à nouveau franchies par un obscur comité de soutien à l’initiative pour les naturalisations discriminatoires, le SIFA. L’annonce titre en gros, sur fond noir : « La violence des jeunes étrangers naturalisés » (la police d’écriture du dernier mot est légèrement réduite). On soupçonne ici très clairement l’ensemble des JEUNES et ETRANGERS d’être des délinquants en puissance en mettant en exergue de manière aussi générale. De plus, l’annonce mentionne le cas d’un suspect qui devait être naturalisé prochainement (il ne le sera donc manifestement pas) et ajoute au mélange un cas d’escroquerie à l’A.I. (où est la violence ?). Amalgame, amalgame, amalgame… Et si l’annonce égrène des cas concernant apparemment des « étrangers naturalisés » (curieux oxymore !), elle évite donc qu’on se demande combien de délits ont été le fait de Suisses dans le même temps et combien de naturalisations ont été refusées par les organes compétents après prise en compte des éléments judiciaires.
Cette publicité est mensongère à l’état pur : en aucune manière les dispositions que l’initiative contient n’auront d’influence sur la prise en compte des délits et crimes dans la naturalisation. Son propos est seulement de permettre la sélection sur des critères extérieurs à ceux qui sont déjà pris en compte aujourd’hui, notamment d’exclure sur la base de la nationalité d’origine ou de la religion, ou encore de la couleur de la peau…
Nos journaux devraient refuser ce genre de propagande nauséabonde et exiger de ce comité qu’il fasse sa propagande dans des termes compatibles avec le respect de l’autre, fût-il jeune et étranger ! Nos organes d’information n’ont pas à être pareillement pollués. Et peut importe si les pleurnichards de l’UDC, cachés derrière ce SIFA, viennent ensuite pleurer qu’on les compare toujours aux partis politiques des années 30. Après tout, ils n’ont qu’à arrêter de s’en inspirer….
Cette annonce me dégoûte !
Dani
24 heures du 24-25 mai revient sur la productivité des vaudois
Je le disais dans mon dernier article : l’interprétation de l’étude de Créa par les rédacteurs du 24 heures conduisait à des conclusions erronées quand le journal titrait : « Le Vaudois souffre de faible productivité ». Or, aujourd’hui, le journal revient sur cette question en disant « Le Vaudois crée davantage de valeur qu’il n’y paraît ». Amusant.
La nuit porte conseil, manifestement (ou alors, ils ont lu mon blog, mais je n’y crois pas trop !). Cette fois-ci, le journal évoque des « distorsions statistiques » en parlant du diagnostic posé par l’auteur de l’étude qui relativise lui-même les résultats en estimant que « le PIB par habitant n’est pas un bon indicateur du dynamisme économique » et qui ajoute même que ce dernier agrégat statistique est certainement lui-même sous-évalué dans le cas du canton de Vaud.
Bref, je retrouve mes propres critiques dans le quotidien, mais deux jours plus tard : L’effet frontalier dans la comparaison avec Genève, le fait qu’il faudrait diviser le PIB non par le nombre d’habitants, mais par le nombre de postes à plein-temps…
Mais nulle part le quotidien n’accepte cependant de revenir sur ses propres déclarations. Le fait d’avoir parlé de « faible productivité » en concevant de manière incorrecte ce concept n’est tout simplement plus évoqué. De toute manière, on va supposer que la mémoire à court terme du lecteur a déjà tout effacé, alors inutile de reconnaître avoir dit une grosse bêtise !
Alors, chers rédacteurs, ne serait-il pas tout simplement plus sage d’attendre un ou deux jours avant de rédiger sur une étude statistique de ce type ? Il deviendrait alors possible de tenir compte de l’intervention de l’auteur et de relativiser sérieusement les chiffres. Cela deviendrait nettement plus intéressant.
Si un journal comme 24 heures veut faire la « course de vitesse » avec les journaux gratuits, il ne pourra que la perdre. A quoi bon payer pour un journal qui n’apporte pas de « valeur ajoutée » en terme d’information, de commentaire, de vérification des faits ?
A quand une réflexion de fond sur les qualités nécessaires d’un journal payant ?
Dani
24 heures du jeudi 22 mai 2008 – Le Vaudois souffre de faible productivité
Hier, le site de 24 heures abordait déjà cette question du calcul d’un PIB romand (voir l’article précédent de ce blog) et l’article péchait lourdement par ses approximations et ses erreurs. On peut bien imaginer l’urgence d’être les premiers à mettre l’information en ligne au risque de commettre quelques boulettes. Mais aujourd’hui, les rédacteurs ont eu une journée de recul pour publier un autre article dans sa version papier : et pourtant, la confusion règne toujours !
Considérons donc le graphique proposé :
Il s’agit bien du PIB par habitant, en francs, de chaque canton, comparé à la moyenne romande. Jusque-là, pas de problème. Mais ce sont les conclusions qui ne tiennent pas debout.
Rappelons la définition de la productivité (du travail), à l’aide de la formule de la productivité du travail par canton :
.
Produit intérieur brut cantonal (ou valeur ajoutée brute totale du canton)
______________________________________________________________________
Nombre d’heures travaillées dans le canton
.
(On pourrait aussi calculer, non pas par heure travaillée, mais par poste de travail en équivalent plein-temps)
Or, que nous propose-t-on ici : « Le Genevois se révèle le plus productif » et « La valeur créée par chaque habitant de Genève aurait dépassé 86’000 francs l’an dernier ».
Nos chers rédacteurs du 24 heures calculent, eux, la productivité en divisant la valeur créée par le nombre total d’habitants (retraités, enfants, personnes au foyer et étudiants compris). Tout faux !!!! Il ne faudrait tenir compte que des gens qui travaillent, mais aussi tenir de tous ceux qui travaillent… Or, à Genève viennent s’additionner à la force de travail environ 50’000 frontaliers, alors qu’ils ne sont par comparaison que 15’000 dans le canton de Vaud. Ils sont probablement également proportionnellement plus nombreux à Neuchâtel. De quoi complètement fausser les impressions en n’utilisant pas le bon dénominateur !
Et pourtant, il serait intéressant de comparer réellement la productivité des cantons, mais il faudrait pour cela d’abord rechercher la définition de cette notion, monsieur le rédacteur !
Dani
P.S. : Il est toutefois probable que la productivité genevoise soit réellement supérieure à celle des autres cantons, mais pas dans les mêmes proportions que celles proposées ici.
24 heures du mercredi 21 mai 2008 (online) – « PIB romand » en hausse en 2007
http://www.24heures.ch/pages/home/24_heures/l_actu/economie/detail_economie/(contenu)/229079
A la base, c’est une excellente idée que le quotidien 24 heures aborde cette question du calcul d’un Produit intérieur brut (PIB) romand. En effet, les chiffres fournis par les auteurs de ce calcul peuvent contribuer à dissiper des idées fausses concernant l’économie romande, en particulier celles qui la dépeignent comme très faible face aux régions alémaniques.
Malheureusement, il y a peu de chances que les lecteurs puissent vraiment profiter de l’aubaine si les faits et les chiffres sont glissés au petit bonheur, vite, vite, vite… sans vérification sérieuse.
Dans le chapeau de l’article, déjà, on peut lire (à propos du PIB romand) : il était de 113 milliards, en hausse de 4,1 %. Une productivité remarquable. Confusion malheureuse : la hausse de 4,1 %, c’est ce qu’on nomme « croissance économique ». La productivité est une tout autre chose : il s’agit du rapport de la production sur un facteur de production déterminé, généralement le travail (exprimé donc en heures de travail). Les 4,1 % montrent ici une bonne performance en matière de production, mais ne disent absolument rien de la productivité. Pour pouvoir en dire quelque chose, il faudrait aussi connaître l’évolution du volume des heures de travail. Si les termes sont utilisés de façon fantaisiste, comment peut-on espérer que le lecteur s’y retrouve ?
La croissance observée en 2007 subit d’ailleurs un hoquet dans l’article : au premier paragraphe, elle est de 4,1 % (mais de 2,7 % en termes réels, donc après avoir déduit l’augmentation des prix), alors qu’elle n’est tout à coup plus que de 2 % au quatrième paragraphe (sans préciser cette fois s’il s’agit de la croissance nominale ou réelle). Après vérification à la source de l’information du journal, je découvre que ces 2 % représentent en fait la croissance moyenne sur 10 ans !
L’auteur de l’article propose encore « Les romands (…) font preuve d’une productivité jugée remarquable qui place leur région dans la course européenne » : alors, cette fois-ci, s’agit-il bien de « productivité » ou est-ce qu’il s’agit d’un jugement sur le taux de croissance (de la production) ? On ne le saura pas, l’article enchaîne sur la croissance au paragraphe suivant sans rien n’en dire de plus…
Par la suite, le journaliste évoque encore un « léger retard de productivité » dans les cantons du Valais et de Fribourg. Un « retard de productivité », voici un concept neuf et intriguant ? Qu’est-ce que cela peut bien signifier ? La productivité mesure l’efficacité d’un facteur de production, ici manifestement le travail. Comment peut-elle être en retard ? Cela n’a apparemment pas de sens… ou alors il faudrait songer à expliquer !
Enfin, le PIB romand est passé de 85,4 à 113,1 milliards de francs (entre 1997 et 2007) en « révélant la plus forte tertiarisation de l’économie régionale ». En quoi l’augmentation du PIB (valeur de la production totale de l’ensemble des secteurs économiques) peut-elle « révéler » la tertiarisation de l’économie, c’est-à-dire l’augmentation de la part d’un secteur par rapport aux deux autres. Il n’y a aucun rapport obligatoire entre ces deux termes… la forte croissance pourrait très bien être due à l’industrie. Mieux vaudrait donc expliquer pourquoi le tertiaire l’a emporté.
Bref, un mot comme productivité est employé sans rapport avec sa signification économique, les chiffres sont en partie hasardeux, les explications sans cohérence entre cause et conséquence. L’économie est un domaine difficile, il faudrait donc s’efforcer de la clarifier plutôt que de l’embrouiller encore plus. Voilà typiquement un article trop vite écrit… et bien mal écrit !
Dani
Après un mois de « blog »
Aujourd’hui, cela fait un mois exactement que j’ai ouvert ce blog auquel je pensais déjà depuis quelques temps. Quelques discussions début avril m’ont motivé et cela a démarré.
Bilan ?
- Plus de visites que je ne l’aurais pensé : les 1100 ont été dépassés, malgré un démarrage un peu poussif.
- Certains articles ont beaucoup été vus, en particulier celui sur les statistiques de l’UDC (record) : cet article a été cité sur des blogs et aussi sur le forum du FC Sion ! Les articles sur les chiffres et statistiques semblent avoir été appréciés : tant mieux, c’est aussi un de mes intérêts majeurs et il y en aura donc d’autres !
- Du plaisir en ce qui me concerne, l’envie d’écrire régulièrement aussi.
- Une sympathique satisfaction : plusieurs personnes ont mis un lien vers mon blog sur leur site.
Par contre, j’ai presque été déçu en bien par la presse ( ) : je m’attendais à devoir bondir nettement plus souvent. C’est du moins l’impression que j’avais avant de commencer, mais au contact des nouvelles, je n’ai pas toujours eu de quoi réagir. Ceci dit, la période qui vient de passer n’a pas été particulièrement riche dans les domaines où je serais le plus à l’aise pour vérifier et critiquer des informations : statistiques, élections, nouvelles économiques, etc. Cela va probablement venir…
Pas toujours facile de traquer l’info : les sources sont nombreuses, le temps est compté !
Bref, on continue !
A bientôt
Dani
Les articles les plus vus à cette date :
1. L’UDC et ses statistiques
2. Marre de Xavier Bagnoud
3. Porno sur les natels : chacun ses chiffres, chacun sa réalité
4. Un crocodile ou un alligator, c’est caïman la même chose
5. La chute de Blocher, documentaire vraiment orienté ?
6. Infrarouge et SMS : beurk !
Le Matin online (Le Matin bleu) – 18 mai 2008 : Les voitures des chauffards iront directement à la casse
On dit parfois que le niveau de maîtrise du français baisse. Manifestement, même les rédacteurs des journaux sont concernés, du moins en ce qui concerne les règles de la conjugaison et de l’emploi des temps.
En effet, on trouve l’utilisation de l’indicatif (futur), censé marquer une certitude, tout au long de l’article évoquant tout un train de mesures liées à la sécurité routière et titré « Les voitures des chauffards iront directement à la casse ». On peut lire : l’une des mesures les plus spectaculaires touchera les chauffards, leur voiture sera confisquée, l’aptitude à la conduite des retraités sera mieux évaluée, le programme va coûter environ 300 millions de francs. Le lecteur attentif remarquera juste en fin d’article l’apparition du conditionnel pour des détails liés au financement du programme présenté et ne permettant pas a priori de douter des certitudes avancées auparavant. En réalité, on pourra juste remarquer que le chapeau de l’article note discrètement : Le ministre des Transports va soumettre prochainement au gouvernement le programme de sécurité routière «Via sicura».
Nulle part il n’est fait mention du réel statut de l’action de Moritz Leuenberger. L’usage de la conjugaison au futur donne l’impression au lecteur non averti que des décisions fermes ont été prises. Or, il se trouve qu’il ne s’agit que de propositions que le conseiller fédéral zurichois va faire aux six autres membres du gouvernement.
Autant dire qu’on est bien loin des certitudes (donc de l’emploi du futur !) et c’est bien l’emploi du conditionnel qui devrait s’imposer aux journalistes. Il est bien possible que les propositions échoueront déjà face à une majorité du conseil fédéral. Si ce n’est pas le cas, elle devront alors affronter une procédure de consultation des milieux concernés, puis l’assemblée fédérale, avec à chaque fois au préalable un débat en commission. Imaginer le parlement actuel adopter sans opposition des mesures comme des destructions d’automobiles ou le zéro pour mille pour les jeunes conducteurs et les professionnels de la route relève de l’utopie la plus naïve !
Le rédacteur en question a-t-il en définitive des lacunes en conjugaison ou en instruction civique, ou les deux ? Ou désire-t-il plus simplement « allumer » ses lecteurs et s’assurer que les pauses du matin seront consacrées à discuter de « son » article ?
En tout les cas, un article faisant passer des propositions pour des décisions, c’est vraiment un aboutissement dans la mal-information !
Dani
PS : 20 minutes : Pas mieux ! Usage du futur dans presque tout l’article, avec tout de même allusion au fait qu’il s’agit de propositions.
Merci les journaux pour ce magnifique exemple de désinstruction civique !!!
Dans les médias en général…
Aujourd’hui, je n’ai pas d’article à brocarder particulièrement et je vais donc proposer quelques lignes sur un phénomène plus général : l’utilisation croissante d’euphémismes pour désigner toute une série de choses dans les médias.
L’euphémisme est une façon de parler ou d’écrire (une figure de style) qui permet d’atténuer ou d’adoucir la réalité lorsqu’elle apparaît déplaisante ou effrayante. En somme, c’est tout le contraire d’une exagération. Lorsqu’on y prête attention au quotidien, cela devient vite très amusant !
Dans la vie courante, il arrive souvent qu’on utilise ce procédé de langage par pudeur ou par prudence. Cela fait partie des codes habituels des relations humaines : imaginez simplement passer une journée à parler franchement à chacun et à dire leurs quatre vérités à toutes les personnes que vous rencontrerez. C’est un truc à ne pas finir la journée ! Il est donc normal que les humains en viennent à adoucir leur propos pour mettre de l’huile dans les rouages de leurs relations.
Les exemples issus de la vie quotidienne sont ainsi nombreux : on dira « relations intimes » pour les relations sexuelles, « sortir avec » pour « coucher avec », « avoir des problèmes avec l’alcool » pour « être alcoolique ». On dira aussi de quelqu’un qu’il est « un peu fort » pour ne pas dire qu’il est gros ! La bonne a été remplacée par la femme de ménage, puis par l’employée de maison. Celui qui est un peu bête se verra qualifié de « gentil »… De même, on a peu à peu remplacé « nègre » par « noir » pour en arriver aujourd’hui à dire « black » sans réaliser que cela veut toujours dire la même chose. Il existe d’ailleurs plusieurs autres possibilités de jouer à cache-cache avec la couleur de la peau : « homme de couleur », « africain »…
Tout cela est sans enjeu particulier tant qu’il s’agit d’une forme de politesse ou de pudeur entre les individus : cela a naturellement toujours existé. Au fond, Obélix rappelle avec justesse en exigeant d’être « un peu enveloppé » qu’il s’agit parfois de simple respect bienveillant. Mais aujourd’hui, le procédé est largement systématisé par les élites et tout particulièrement dans les médias. Ce n’est manifestement plus seulement une mode, mais un code de communication, voire de manipulation, une forme de « novlangue » à la George Orwell. Il a pris, sous l’influence des Etats-unis, le nom de « politiquement correct » (politically correct). Le procédé a ses thèmes de prédilection :
- Voiler la stigmatisation des gens différents : handicapés, étrangers
- Atténuer les choses terribles, comme les horreurs de la guerre
- Cacher les injustices, notamment les inégalités sociales ou les décisions économiques difficiles
– Parler avec une pudeur excessive des sujets jugés difficiles à aborder
Naturellement, il ne faudrait en aucune manière croire que ce sont des mots tout à fait naturels et crus qui se sont tout à coup changés en mots « acceptables socialement ». Au fond, la langue évolue, le sens des mots évolue aussi sans cesse. Il y a juste qu’on donne aujourd’hui un grand coup de pouce à cette évolution.
Plus qu’une longue démonstration, le mieux est finalement de regarder concrètement ce qu’il en est, et je vous propose donc mon petit lexique (classé par techniques d’atténuation) :
On peut tout simplement supprimer le mot gênant (en faisant parfois un détour) :
Vieux = Personne du troisième âge (après être passées par « personnes âgées »)
Prostituée = Travailleuse du sexe Invalide ou impotent = Handicapé, mais plus récemment aussi « Personne à mobilité réduite »
Bombardement = Frappe aérienne (et frappe chirurgicale quand on veut vraiment rassurer)
Licenciements = Plan social ou restructuration
Privatisation (partielle ) = Ouverture du capital
Chômeurs = Demandeurs d’emploi
Pauvres = Défavorisés
Arts primitifs = Arts premiers
Gitans = Gens du voyage
Banlieues = Quartiers sensibles ou même tout simplement « quartiers »
Massacres = Nettoyage ethnique
Grève = Mouvement social Misère = Exclusion
Noir (ou nègre) = Personne de couleur
Viol collectif = Tournante
On peut aussi reformulation par la voie négative :
Aveugle = Non-voyant
Echecs = Insuccès ou contre-performances
Clochards = Sans-abri (ou sans domicile fixe, bien sûr)
Clandestin = Sans-papiers
Vandalisme ou agressions (selon les cas) = Incivilités
On peut encore utiliser une autre langue (surtout l’anglais) :
Vieux = senior
Noir = black
Et remplacer le mot dérangeant par l’utilisation d’abréviations :
Vagabonds = S.D.F. (Sans domicile fixe)
Avortement = I.V.G. (Interruption volontaire de grossesse)
Maladie vénérienne = M.S.T. (Maladie sexuellement transmissible)
Et il existe bien sûr encore d’autres manières de reformuler avantageusement :
Extrême-droite = Droite dure
Extrême-gauche = Gauche de la gauche
Victimes civiles = Victime collatérales (ou même dommages collatéraux)
Travail à la chaîne = Organisation en lignes de production
Revues pornographiques (dans les kiosques)= Presse de charme ou presse masculine !
Surveillants, gardiens = Agents de sécurité
Caissière = Hôtesse de caisse
Nettoyeurs = Agents d’entretien
On remarque avec les derniers exemples les tentatives de revalorisation des professions par les mots, à défaut de revaloriser par le salaire. Je ne résiste donc pas à vous proposer ci-dessous des noms de métiers retenus par l’OFFT (Office fédéral de la formation professionnelle et de la technologie : liste complète ici) pour déterminer les qualifications des apprentis (et je vous laisse deviner le nom d’origine) :
Agent du mouvement ferroviaire,Assistant de l’industrie textile, Assistant du commerce de détail, Assistant en information documentaire, Assistante socio-éducative accompagnement des enfants, Gestionnaire du commerce de détail, Gestionnaire en logistique, Opérateur de médias imprimés, Projeteur en technique du bâtiment, Spécialiste en hôtellerie, Technologue en denrées alimentaires,…
Que faire ? Est-il possible de contrer la désinformation qu’apporte parfois l’usage des termes….. ou vaut-il mieux en rire ?
Dani
» Le but du novlangue était non seulement de fournir un mode d’expression aux idées générales et aux habitudes mentales des dévots de l’angsoc, mais de rendre impossible tout autre mode de pensée. Il était entendu que lorsque le novlangue serait une fois pour toute adopté, et que l’ancilangue serait oubliée, une idée hérétique –c’est à dire une idée s’écartant des principes de l’angsoc- serait littéralement impensable, du moins dans la mesure où la pensée dépend des mots. » George ORWELL – 1984