Un courrier de lecteur que j’ai rédigé la semaine passée et qui n’a apparemment pas eu l’heur de plaire à la rédaction
A propos de l’article : Et si on abolissait le cash?
et de l’éditorial : La fin du cash, une barrière psychologique
Le Temps du 9 septembre consacre une pleine page à une nouvelle question monétaire : « Et si on supprimait les billets de banque ? ». La question est traitée principalement sous l’angle de la « barrière psychologique » et des modalités pratiques qu’un changement impliquerait. Et la fin de l’argent liquide, vue par l’économiste Kenneth Rogoff, devient surtout un moyen de combattre les transactions illégales. Malheureusement, se contenter de cette approche fait passer à côté d’un enjeu essentiel.
En effet, rappelons tout d’abord que si les banques centrales émettent la monnaie officielle (la base monétaire), les banques commerciales réalisent ensuite une démultiplication de cette masse monétaire par le jeu du crédit. C’est ce qui explique que la totalité des pièces et billets en circulation ne représente qu’environ 7 % de la masse monétaire au sens large (agrégat M3) et que si chacun cherchait à retirer ses billets, le système montrerait très rapidement ses limites.
Si chacun évalue les moyens de paiement dont il dispose, il tient compte de ses pièces et billets et de ses comptes bancaires. Or, si les premiers sont de la monnaie officielle, émise par la BNS sur mandat de la Confédération, les seconds ne sont que des créances vis-à-vis des banques commerciales. Pour chacun de nous, l’argent liquide représente donc la seule manière d’avoir accès directement à de la véritable monnaie officielle. Les banques commerciales, par contre, possèdent leur compte de virement auprès de la BNS, constitué de monnaie officielle scripturale.
Si les pièces et billets venaient à disparaître, seules les banques auraient donc accès, grâce aux comptes de virement, à la monnaie officielle. Et le particulier devrait se contenter de son compte bancaire, soit d’une créance vis-à-vis de son banquier. La confiance envers les banques serait rendue obligatoire, sans possibilité de retirer son argent du système bancaire.
Compte tenu de ce qui précède, la seule solution qui permettait aux habitants de la Suisse d’avoir accès à la monnaie officielle serait de les autoriser, à l’instar des banques, à avoir eux aussi un compte auprès de la BNS. Cela n’est pas évoqué, mais il s’agit tout de même d’un enjeu plus fondamental que les questions évoquées par l’article.
Daniel
Daniel
PS : J’ai bien reçu une facture d’abonnement réduite de 15 % et je reste donc abonné au TEMPS.
L’initiative RASA suscite plus de colère que d’oppositions raisonnées
Lorsqu’on lit les commentaires aux articles qui annoncent le succès en cours pour l’initiative populaire RASA (qui consiste à tout simplement supprimer l’article 121a adopté le 9 février 2014), on ne peut que constater à quel point cette proposition suscite de la colère chez certains. Pourtant, quoi de plus démocratique que de reposer une question, surtout lorsque la décision a été emportée pour quelques milliers de voix ?
Mais c’est que cette initiative, au fond, s’attaque à l’un des tabous de notre démocratie semi-directe. En effet, au-delà des sottises comme « le peuple a toujours raison », la démocratie semi-directe, chez la plupart des gens, s’appuie sur la conviction que le peuple est collectivement tout à fait capable d’évaluer les enjeux et de voter en connaissance de cause. Plus, on n’imagine tout simplement pas qu’il puisse se tromper. Et c’est pourquoi cette initiative fâche tellement : elle laisse supposer que le peuple aurait pu être mal informé, voire manipulé, et qu’il pourrait/devrait revenir sur son vote. Elle s’attaque de front au mythe !!!
Or, n’importe quel abruti aviné dans un café du commerce convient que le conseil fédéral (gouvernement) peut se tromper et se trompe même pour de vrai parfois. N’importe qui convient également que le parlement ou le Tribunal fédéral peut se tromper. Seul le peuple ne peut pas se tromper et encore moins « reconnaître » qu’il s’est trompé. Mais l’histoire est longue des retours en arrière ou des acceptations tardives si on s’intéresse un peu à l’histoire politique de la Suisse.
Cette initiative aurait aujourd’hui bien peu de chances d’être acceptée (compte tenu de la double-majorité du peuple et des cantons). Mais ce sont les réactions indignées – plutôt que les réponses argumentées et réfléchies – qu’elle suscite qui sont finalement les plus révélatrices d’une espèce de divinisation de la démocratie référendaire qui n’a pas de sens.
Daniel
A l’occasion d’un changement d’abonnement chez Swisscom, j’ai pu éprouver les différences entre ce qui est promis et ce qui effectivement servi.
Vivo Casa*** pour six personnes, dont 4 adolescents qui se plaignent de la faiblesse du débit qui traînent à quelques Mbit/s. Pas de doute, il faut envisager de changer d’abonnement et d’opter pour un meilleur débit. Une visite sur le site de Swisscom permet de choisir ce qui semble être la meilleure option pour nous : Vivo M, avec 100 Mbit/s en download. Bien entendu, comme tout client un peu curieux, nous parcourrons les divers éléments fournis par Swisscom. Tout semble en ordre. La mention « la vitesse effective dépend de votre raccordement téléphonique » confirme ce que nous savons déjà depuis longtemps : la connexion ne correspond jamais vraiment tout à fait aux vitesses indiquées. Mais nous n’imaginions à ce moment-là pas encore à quel point !
Préférant toujours avoir affaire à un être humain en chair et en os (par expérience, je pourrais écrire des pages entières sur ce point), je téléphone donc à Swisscom et une personne m’explique alors rapidement ce qu’il faut savoir pour contracter cet abonnement. Elle précise notamment qu’il faudra compter Fr. 99.- de frais pour migrer d’un système à un autre et que dorénavant notre téléphone fixe sera également connecté à Internet. De toute manière, ce sera le cas de tout le monde bientôt, alors autant sauter d’ores et déjà le pas. L’abonnement est donc conclu par téléphone sans qu’aucune autre mise en garde n’ait été faite. Jusque-là, tout baigne, mais c’est la suite qui va être pimentée. Si vous comptez changer d’abonnement prochainement vous aussi, préparez-vous à une belle bataille et prévoyez de la disponibilité.
Premier gag.
Lors de la conclusion de l’abonnement au téléphone, ma correspondante m’a indiqué que je recevrai le matériel par la poste (il est bien arrivé, merci.) et que dès la réception d’un SMS de Swisscom, nous POURRONS installer ce nouveau matériel et bénéficier de notre nouvel abonnement. Or, le lundi matin de la réception du SMS, plus rien ne fonctionne. L’ancien système a tout simplement été arrêté et il aurait fallu dire « vous DEVREZ ». Six personnes attendent la connexion et nous passons donc instantanément à l’action, en considérant que l’emploi judicieux des verbes de mode n’est pas maîtrisé chez Swisscom.
Deuxième gag.
Tout fonctionne, sauf le téléphone fixe ! Rien ne permettant d’expliquer ce dysfonctionnement, je téléphone donc à l’assistance de Swisscom. Là, un employé localisé Dieu sait où me demande de faire quelques opérations puis décide de réinitialiser le routeur. Et paf, plus rien du tout ne fonctionne… Le dépannage qui vous met en panne, super sympa. Dès lors que la panne semble perdurer, mon interlocuteur me dit alors qu’il va devoir faire un « ticket ». J’essaie de l’interroger pour savoir de quoi il s’agit et cela devient encore plus mystérieux, mais après quelques minutes de dialogue il réussit enfin à dire qu’un technicien va devoir venir à domicile pour « réparer ». Un dépannage à domicile, voici la signification du terme « ticket » chez Swisscom… au cas où vous auriez besoin de comprendre leur dialecte. Il faut alors prendre un rendez-vous et là aussi, je découvre que la compréhension par Swisscom de cette expression française est assez différente de la mienne. Le rendez-vous, c’est chez vous entre 8 heures et 18 heures. J’espère que les médecins n’imiteront pas les rendez-vous de Swisscom. Une journée coincé à la maison… en période de canicule.
Troisième gag.
Le technicien vient dès 8 heures, chance. Assez rapidement, il nous permet de retrouver nos outils de communication : téléphone fixe, Internet, wifi… qui nous manquaient depuis 48 heures. Mais il faut pour cela changer le routeur que Swisscom va donc nous facturer. L’explication de la panne tient au fait que le « pering » a été mal fait au moment de notre changement d’abonnement : erreur humaine. Apparemment, tout fonctionne donc et nous libérons le technicien pour qu’il puisse aller dépanner d’autres gens. Mais ce serait trop facile si tout s’arrêtait là : peu après, nous réalisons que notre débit a à peine progressé malgré le changement d’abonnement : 6 à 7 Mbit/s en lieu et place des 100 Mbit/s promis au moment de la conclusion. Nous ne sommes donc pas encore au bout de nos peines…
Quatrième gag.
Je retéléphone donc au service d’assistance. Mon correspondant m’explique que la « réparation » se fera probablement à distance, car il s’agit des lignes de Swisscom et que je serai averti quand ce sera fait. Mais, par la même occasion, il m’explique aussi que nous ne pourrons de toute manière pas bénéficier de plus de 50 Mbit/s parce que c’est ce que permet la ligne qui aboutit à notre maison. C’est la première fois qu’une telle limite est évoquée (et rien ne l’indique non plus sur le site), alors que la personne que j’avais en ligne à la conclusion de l’abonnement pouvait le savoir rien qu’à l’évocation de notre adresse. Pourquoi ne l’a-t-elle pas dit ?
Cinquième gag.
Un SMS me parvient le lendemain indiquant que les techniciens sont au travail sur notre ligne. Sur notre routeur, je vois en effet que le Wifi n’est plus actif (ils l’enlèvent pour faire des essais) et que les indicateurs lumineux clignotent par intermittence. Au bout d’un moment, je reçois un appel d’un employé de Swisscom qui me parle à nouveau de « ticket » et me propose un rendez-vous sur la matinée de samedi pour effectuer une « réparation ». Une demi-journée, on progresse… Je demande si l’intervention est terminée, parce que l’indicateur du wifi reste inerte et que je ne peux pas le réactiver. Et je découvre donc, avec mon correspondant, que les techniciens ont oublié de le réactiver en finissant. Erreur humaine…
Sixième gag.
Un nouveau technicien apparaît donc le samedi en fin de matinée. Après avoir examiné l’installation de l’immeuble, il m’explique que le problème vient de la façon dont l’installation a été faite (par Swisscom…) et que nous ne pourrons avoir qu’environ 13 Mbit/s, à moins qu’il refasse – sur le champ – l’installation et nous bénéficierons alors (c’est royal !) de 27 Mbit/s. Mais son intervention a un prix : Fr. 195.-. Non seulement, Swisscom réussit à facturer une correction de son propre travail, mais le résultat final en terme de connexion correspondra à un quart de ce qui était promis au départ ! Bien décidés à améliorer notre connexion (l’alternative consisterait à reprendre un abonnement moins performants et moins cher), et un peu désabusés, nous acceptons en pensant que nous ferons les démarches nécessaires afin que Swisscom assume tout ou partie de ces frais cachés.
Enfin arrivés au bout de l’aventure du changement d’abonnement, nous pouvons faire le bilan de l’opération : des attentes au téléphone, un jour et demi à disposition de Swisscom, beaucoup d’agacement… pour aboutir à une connexion au quart de la vitesse promise et constater que la communication de Swisscom est très défaillante sur le prix et la performance. Vu le temps et l’énergie nécessaire pour faire aboutir ce changement, il vaut mieux être en vacances pour avoir la disponibilité nécessaire. J’attends donc maintenant de pied ferme les réponses aux deux courriers que j’ai envoyés à Swisscom et leur détermination en ce qui concerne les frais. A suivre.
Alors, au moment où vous envisagez de changer d’abonnement, prenez toutes vos précautions en sachant que la publicité mensongère n’est pas loin et qu’il faudra peut-être vous battre pour obtenir une fraction de ce qu’on vous a promis, tout en payant plus que prévu.
Daniel Schöni
Depuis octobre 2013, des piques et des répliques sur une page Facebook
Bonjour à tous,
Depuis fin 2011, je n’ai plus alimenté que très occasionnellement ce blog. Par contre, vous pouvez retrouver une critique de la presse et des médias, à travers des choix malheureux et des boulettes sur la page Facebook de « Piques et répliques » :
https://www.facebook.com/pikereplik
Les billets sont très courts et lapidaires, donc vite lus. Mais on y retrouve le même genre de choses que ce qui apparaissait régulièrement entre 2008 et 2011 sur ce blog.
Comment procéder :
1) Se rendre sur la page https://www.facebook.com/pikereplik
2) Cliquer sur « j’aime »
3) Recevoir donc régulièrement les parutions de « Piques et répliques » sur Facebook
Bonne lecture (y a plein de trucs rigolos) !
Daniel
Quand le « n’importe quoi » réussit à se faire éditer… :-/
Quelle honte ! Comment peut-on écrire ou publier un truc pareil ???
Voilà un type qui prétend collectionner une liste des lois les plus bizarres du monde, qu’il classe par thèmes et regroupe ensuite par pays. Ses sources ? Une série de site web plus obscurs les uns que les autres et surtout sans aucun véritable site contenant des textes de loi. Et pour cause… Il s’agit manifestement d’un tissu d’âneries et de choses complètement farfelues et fausses. De la pure légende urbaine en boîte !
Je connaissais déjà l’existence de listes de ce type sur Internet (dont j’avais d’ailleurs déjà pu éprouver le peu de crédibilité), mais j’ai découvert ce livre par hasard cet après-midi en librairie. J’ai donc regardé ce qu’il proposait pour la Suisse, puisque j’y réside et que je donne des cours de droit dans une école professionnelle. Il m’était donc plus facile de tenter de vérifier la véracité éventuelle du propos.
J’ai notamment relevé les éléments suivants en ce qui concerne la Suisse :
- Il est interdit de rouler avec des pneus neige à plus de 160 km/h.
Sachant que la vitesse maximum générale sur les autoroutes est de 120 km/h, je doute de voir autoriser une course à 150 km/h en pneus neige…. pas vous ?
- L’absinthe est interdite de production, stockage et vente
Là, le gars retarde juste de plus de 10 ans… Le livre est édité en 2014… On rigole ?
- Il est interdit de laver sa voiture le dimanche.
Aha…. Et quoi encore ? Est-il autorisé de faire le plein le lundi matin ?
- Il est illégal de tirer la chasse d’eau après 22h.
Je serais curieux de savoir quelle « loi » contient de pareils éléments de détail… Je lui demande la base légale ?
Et les propositions sont du même acabit pour les autres pays cités. Peut-être qu’il y a quelques propositions qui sont vraies, peut-être qu’il s’agit dans certains cas de jurisprudences (parfois mal comprises ?)… En tous les cas, les « lois » proposées pour la Suisse permettent de douter de toutes les autres et ce ne sont certainement pas les sites proposés comme sources qui vont donner confiance.
En bref, il s’agit d’un pur foutage de gueule. A moins qu’il s’agisse d’un canular (une sorte de Gorafi livresque ?) ou d’un livre d’humour… Apparemment non, cela semble se vouloir sérieux.
Daniel
Petite simulation en forme de provoc’
En Suisse, les votations se suivent et se ressemblent. Cependant, si les Suisses romands et les Suisses allemands sont souvent d’accord (8 fois sur 10), il arrive aussi qu’on se trouve face à une votation-röstigraben qui montre de plus grandes différences d’appréciation. Aujourd’hui, avec le projet de caisse publique accepté uniquement par Genève, Vaud, Neuchâtel et Jura, on se trouve à nouveau dans cette configuration.
Je me suis livré à une petite expérience sur le thème « qu’aurait décidé une Suisse romande indépendante lors des votations qui ont eu lieu ces 10 dernières années ?« . Les résultats sont assez frappants et étonnants (je précise que j’ai pris les 6 cantons majoritaires romands, avec leurs minorités germaniques qu’on ne peut pas facilement isoler statistiquement (à moins de disposer des données par commune et de faire un gros boulot), mais en laissant de côté la minorité francophone bernoise… Cela donne toutefois une assez bonne approximation quand même.
Il y a d’abord les textes acceptés par l’ensemble des Suisses et qui auraient été refusés par la Suisse romande :
L’initiative contre l’immigration de masse (non à 57,6% en Suisse romande), l’initiative Weber sur les résidences secondaires (52% – le Valais contrebalance à lui seul la courte acceptation des autres Romands), l’expulsion des délinquants étranges (54,7%), le durcissement des conditions de l’assurance-chômage pour les jeunes (58,4%), l’interdiction des minarets (50,6%), le passeport biométrique (51,9%), l’imprescriptibilité dans le cas des délits sexuels sur enfants (53,1%) et la réforme de l’imposition des entreprises qui ont fait perdre des sommes beaucoup plus importantes qu’annoncées à la caisse fédérale (52,1%).
Puis, il y a les textes refusés par l’ensemble des Suisse, mais qui auraient été acceptés par la Suisse romande :
Le prix unique du livre (61,4%), la protection contre la violence des armes (50,4%), la naturalisation facilitée pour les enfants de la 2e génération (60,2%), la naturalisation automatique pour la 3e génération (65,6%), l’initiative Services postaux pour tous (62,3%).
Lorsque les articles constitutionnels ou les textes de lois votées mettent en jeu le rapport à l’étranger ou le rôle de l’Etat, on voit apparaître de véritables différences d’appréciation. Une Suisse romande indépendante serait plus ouverte vis-à-vis des étrangers, plus indulgente avec ses jeunes chômeurs, considérerait le service postal comme un service public plutôt que comme une bonbonnerie, protégerait ses petits libraires et ferait surtout un peu moins de paranoïa en général.
Voilà. Contrairement à ce qui peut s’observer en Ecosse, en Catalogne ou ailleurs, les vélléités d’indépendance n’existent quasiment pas en Suisse romande et cette simulation est totalement artificielle. C’est bien une petite provocation, mais qui a l’intérêt de bien mettre en évidence certaines différences en matière politique.
Que faire de ces constats ? C’est à réfléchir… mais peut-être qu’il faudrait éviter de ne rien en faire.
Daniel
L’après-votation montre des vainqueurs ayant de la peine à assumer leur victoire
Depuis la votation du 9 février, on a pu suivre des réactions qui ont souvent été classées comme étant celles de mauvais perdants : réserver les quotas aux cantons qui ont dit oui même de justesse, envoyer les leaders de l’UDC négocier tout seuls à Bruxelles, stigmatiser les régions qui ont voté oui, etc. Cette position de « mauvais perdant » est bien connue, et chaque enfant ou presque a dû apprendre à s’en départir à l’occasion de jeux de société en famille ou avec des amis. Apprendre à perdre…
C’est évidemment également valable pour les votations et les « perdants » ont tout intérêt à afficher une certaine dignité. L’affaire est à mon avis entendue et de nombreux perdants de la dernière votation sont des habitués cuirassés par le nombre de défaites. C’est d’autre chose dont j’aimerais parler ici : en effet, on n’entend jamais évoquer l’inverse : le « mauvais gagnant ». A mon sens, aujourd’hui, il serait bon de se pencher aussi sur cet autre phénomène, et l’occasion de la votation du 9 février le permet assez aisément.
A mon sens, le mauvais gagnant est celui qui l’emporte dans une décision et qui n’est absolument pas prêt à assumer sa victoire et surtout les conséquences logiques ou inévitables de celle-ci. Cela peut venir d’une image difficile à assumer, de conséquences que l’on préférerait ignorer, de l’absence de proposition pour concrétiser la décision, de la conscience d’avoir mis tout le monde dans le pétrin ou d’avoir créé des difficultés inutiles. Dans le cas de l’initiative de l’UDC « contre l’immigration de masse », l’idée de « mauvais gagnant » pourrait tout particulièrement s’appliquer aux cas suivants :
En fait, je n’ai pas voté, mais je pense quand même que…
Là, c’est le comble de l’incapacité d’assumer de peur d’être associé aux Waldstätten ou à un autre croque-mitaine. Certains partisans de l’initiative aimeraient tant oublier leur vote et vont peut-être réellement l’oublier d’ici quelques temps.
De toute manière, cela ne va rien changer d’essentiel.
Réaction beaucoup entendue ces derniers jours pour minimiser la portée du vote et ses propres craintes. Mais si c’est pour ne rien changer d’essentiel, à quoi bon aller voter ?
Quoi ? Cela va affecter nos relations avec l’UE ? On nous a donc mal informés !
Réaction caractéristique de celui qui vote en se basant sur les slogans des affiches et des annonces et qui se plaint d’avoir été mal informé. Comme si la brochure officielle, les débats publics, les sites d’information et les journaux n’existaient pas !
L’Europe a décidé de se venger et de nous punir
C’est la position du gagnant-victime. Et plutôt que d’assumer que les décisions qu’il a prise auront naturellement des conséquences, il préfère transférer le poids de la décision sur un autre. C’est pas ma faute, c’est les autres !
Il s’agissait seulement de donner un « signal »
On retrouve cette défense chez ceux qui utilisent les votations pour manifester leur mauvaise humeur (ils semblent n’avoir jamais imaginé d’autres méthodes, comme les manifestations par exemple). Ils font mine d’ignorer que les votations consistent à adopter des textes constitutionnels ou légaux. Auront-ils un jour l’idée de lire les textes qu’ils votent ?
Cette décision n’a rien à voir avec les accords bilatéraux
C’est la position de ceux qui aimeraient croire qu’on peut avoir le beurre et l’argent du beurre, la libre-circulation sans les immigrants qui vont avec. Et leurs pulsions ethnocentriques les poussent à ne plus être capables de prendre en compte une partie du texte voté. Faire comme si…
Ce n’est pas au camp du « oui » de dire ce qu’il faut faire maintenant
Là, c’est le toupet du sans-gêne. C’est prendre une décision en rupture avec ce qui avait été décidé jusque-là et laisser les autres se débrouiller. C’est comme jeter la vaisselle par terre et demander aux autres de ramasser.
J’aimerais voir les gagnants de cette votation assumer leur victoire, tout simplement. Ce serait déjà pas mal.
Daniel
Vu sur les manchettes du Matin, le 29 mai 2013 : »Série noire : 20 meurtres commis en 22 semaines en Suisse ! »
Prenez peur, braves citoyens, tremblez : la Suisse fait face à une « série noire » de meurtres. On compte 20 meurtres en 22 semaines dans notre pays. C’est ce que le quotidien aux manchettes jaune vif nous annonce ce matin. Je ne sais pas comment auront réagi les personnes qui ont croisé ces manchettes aujourd’hui, mais je m’en inquiète. A priori, cela fait peur et donne l’impression que le pays est dans une situation sécuritaire catastrophique. Qu’en est-il en réalité ?
Eh bien, nous avons là affaire à la fabrication d’une actualité bidon, une mise en scène qui ne correspond à rien. En effet, le Matin brandit 20 meurtres en 22 semaines, comme si cela était exceptionnel et terrifiant (une série noire !). Et pourtant, cela n’a rien d’extraordinaire ou d’anormal. 20 meurtres en 22 semaines, cela correspond à environ 0,9 meurtres par semaine. Or, pendant l’année, on compte en Suisse plus d’un meurtre par semaine, comme en témoigne l’office fédéral de la statistique :
1,9 meurtres par semaine en 2007,
2,1 en 2008,
1,9 en 2009,
1,6 en 2010,
1,3 en 2011
Ces 20 meurtres en 22 semaines représentent donc moins d’homicides que la moyenne habituelle. Il ne s’agit donc pas d’une série noire, mais plutôt d’une relativement bonne nouvelle. Et voilà comment un journal donc le succès – très relatif – est basé sur les faits divers sordide et les futilités « people » entretient la peur nécessaire à vendre son pitoyable boniment…
Pour bien enfoncer le clou, la première page du journal revient à la charge : « Un meurtre par semaine« , et colle un revolver comme décoration explicite… La raison d’être du journal, c’est quoi : informer ou terroriser ?
Faire croire, à partir d’une statistique rassurante, à une série noire de meurtres, c’est ici tout simplement un énorme mensonge. En grosses lettres, à la face de tous : ils n’ont manifestement plus aucune honte à fabriquer du faux.
Daniel
PS : pour l’anecdote, le site du Matin titre aussi aujourd’hui que le nombre de meurtres à New York est « historiquement bas« . Or, si la ville américaine a vu le nombre d’homicides passer de 515 à 414, il n’en reste pas moins que 414 meurtres pour 8,4 millions d’habitants de la ville, cela reste encore beaucoup. En Suisse, avec un peu plus de 8 millions d’habitants, on dénombre entre 69 et 109 meurtres par an sur les 5 dernières années. Bien sûr, il n’est pas surprenant qu’un grande ville ait un taux sensiblement plus élevé qu’un Etat comme la Suisse, mais il semble que les rédacteurs du Matin ont de la difficulté avec les proportions…
20 minutes – 11 avril 2013 : Le fisc lui réclame des impôts 40 ans après
Régulièrement, dans le cadre de mon enseignement, avec des matières comme l’économie, le droit ou l’instruction civique, je me retrouve face à « l’information » transmise par les médias… et plus particulièrement par la diffusion gratuite du journal des pendulaires, « 20 minutes ». Et c’est une lutte continue contre les idées fausses qui émanent trop souvent d’une mauvaise compréhension de l’information, dont la faute incombe le plus souvent au média.
Mardi matin, un de mes élèves m’interpelle sur le cas d’une femme à qui le fisc aurait réclamé des impôts non-payés il y a 40 ans. Je suis bien évidemment surpris d’une telle durée, alors que les délais de prescription sont généralement au maximum de 10 ans. Je m’étonne oralement de la chose, et l’élève en question m’explique alors que l’information vient du journal « 20 minutes ». J’avoue : cela renforce encore mon scepticisme. Et dans ce genre de cas, une seule chose à faire : nous décidons de rechercher l’article sur Internet pour en avoir le coeur net.
L’article, long de 10 lignes sans le titre et le chapeau, est particulièrement laconique pour une matière aussi difficile. Il explique en effet que le fisc réclame à une contribuable de 59 ans un montant de 2055 francs – retrouvé tardivement – pour des impôts remontant à l’époque de ses 19 ans. Pour appuyer la réalité de cette information stupéfiante, le rédaction précise : « En raison d’un changement de législation fédérale en 1997, ces arriérés ne sont pas prescrits« . Pour « 20 minutes », le nécessaire est là : des impôts anciens, une femme jeune à l’époque, une faille dans l’organisation de l’administration… et une conclusion implicite : « Mais, c’est dégueulasse ! ». Et c’est tout. Vous voudriez comprendre comment cela a été possible ? Savoir si cela pourrait aussi vous arriver ? Si c’est bien légal ou constitutionnel ? Laissez tomber… « 20 minutes » ne fait pas dans l’information explicative, seulement dans l’exclamation facile.
Il y avait toutefois une information réellement utile dans ce petit article : le fait que c’est « l’Hebdo » qui a relaté cette information dans sa dernière édition. Ouf, je peux donc m’y référer pour comprendre.
Et la lecture de « l’Hebdo » me permet en effet de voir de quoi il en retourne. Les impôts de la dame avaient donné lieu à des poursuites sanctionnées finalement par un « acte de défaut de biens« . A l’époque dans les années 70, les actes de défaut de biens étaient imprescriptibles et ce n’est qu’en 1997 que le parlement a décidé de modifier la loi et de les rendre prescriptibles par 20 ans. Or, il fallait bien décider ce qu’on allait faire des actes plus anciens que 1997. Il a alors été décidé que le délai de 20 ans de prescription des actes antérieurs au 1er janvier 1997 commencerait à s’écouler à cette date (et l’échéances est donc au 1er janvier 2017). Diable… et « 20 minutes » qui ne parlait même pas de poursuite ou d’acte de défaut de biens. Comment voulez-vous pouvoir y comprendre quelque chose ?
Assez piquant : on peut même se demander si le rédacteur de l’article de « 20 minutes » a compris la situation. Témoin la phrase de l’article déjà citée plus haut : »En raison d’un changement de législation fédérale en 1997, ces arriérés ne sont pas prescrits« . Or justement, avant 1997, les actes n’étaient PAS prescrits. Le changement de la loi n’y est pour rien, puisqu’il introduisait précisément une prescription. Il aurait mieux valu écrire « Malgré un changement de législation fédérale en 1997″. Cela dit, la réalité resterait incompréhensible aux lecteurs de 20 minutes. D’ailleurs, il suffit de faire un tour sur le site de « 20 minutes » et de parcourir les 188 commentaires suivant l’article pour s’en convaincre…
Alors quoi ? Que vaut un journal gratuit s’il faut de se référer à un média payant pour comprendre les informations qu’il prétend communiquer ? Si la situation rencontrée par la contribuable vaudoise est en effet kafkaïenne, il serait largement préférable de permettre aux lecteurs de savoir de quoi il s’agit, à moins que le but ne soit seulement de les révolter ou de leur faire peur pour 40 ans.
A ce tarif-là, la rédaction de « 20 minutes » ferait mieux de mettre une jolie photo de chien ou de chat plutôt que de prétendre faire de l’information sur les impôts. Qu’ils laissent les choses sérieuses aux gens sérieux.
Daniel